A Paris, le 19/09/2023
Je me souviens, lorsque j’étais assis sur mon fauteuil dans le bureau de mon ancien travail, consultant sur mon écran des centaines de mails non lus s’empilant inexorablement tandis que mes réunions s’enchaînaient sans interruption, il m’arrivait par moments de me tourner vers la carte du monde qui était affichée sur un mur face à mon bureau et d’observer ces contrées inconnues qui me tendaient les bras. Je me levais parfois pour voir de plus près la géographie de ces espaces, les noms et les frontières des pays qui les composent, les routes qui les relient, les fleuves qui les traversent, les montagnes qui les dominent, les principales villes situées aux carrefours d’anciennes ou nouvelles voies commerciales et je me prenais à imaginer des itinéraires possibles, à visualiser des visages, des paysages, des monuments.
Désormais, je peux mettre des images réelles de visages et de paysages en puisant dans ma mémoire lorsque je parcours du regard une carte de ces pays qui m’intriguaient depuis de nombreuses années : les Balkans, la Turquie, l’Iran, le Pakistan, l’Inde, le Népal…
Cela fait un an, jour pour jour, que j’ai pris le cap à l’est en partant de Paris sans trop savoir si j’arriverais à atteindre mon objectif de rejoindre Katmandou par la route puis de passer par les airs pour rejoindre l’Asie du sud-est et l’Océanie.
De retour au pays depuis quasiment trois mois, je suis très heureux et fier d’avoir fait ce voyage malgré les nombreuses interrogations qu’il suscitait en moi ou dans mon entourage avec un départ relativement précipité. Ce long voyage me faisait envie depuis longtemps, je sentais que c’était le bon moment pour moi de partir et il a été à la hauteur de mes attentes, si ce n’est plus.
Mon choix était le bon de faire un maximum d’itinérance par la route car il m’a permis de voir progressivement le monde autour de moi changer et d’apprécier toute la diversité qui s’offre à nous en suivant un cap, à l’est pour moi. Je suis passé des pâturages verdoyants de la Bavière aux déserts de l’Iran, des sommets gracieux des Alpes aux sommets vertigineux de l’Himalaya. J’ai traversé les fleuves du Rhin, du Danube, du Tigre et de l’Euphrate, de l’Indus puis le célèbre Gange et enfin le Mékong. J’ai visité des lieux de culte et des lieux saints des principales religions : des églises et des cathédrales catholiques puis orthodoxes, des mosquées et des mausolées sunnites et chiites, des temples zoroastriens, hindous, jaïns, bouddhistes, taoïstes… J’ai croisé des animaux de toutes sortes, depuis les vaches grasses de la Bavière et de l’Autriche dans de larges prairies à leurs congénères sacrées en Inde mais vivant au bord des routes et dans les rues, des yaks poilus sur les hautes vallées des Annapurna aux buffles noirs se prélassant dans des bains de boue en Asie, des dromadaires dans les déserts d’Iran et d’Inde, des singes et des éléphants en Asie, des requins, des tortues et des raies Manta en Océanie. J’ai dégusté avec plaisir les pitas et böreks des Balkans, les kebabs variés de Turquie, les épices de l’Iran et de l’Inde, les merveilleuses brochettes de viandes du Pakistan, les délicieux raviolis « Momos » du Népal et les bonnes soupes du Vietnam, j’ai goûté à toutes sortes de plats dans des gargotes plus ou moins recommandables et parfois au détriment de mon estomac . J’ai bu des bières de quasiment tous les pays que j’ai traversés et du vin des Balkans, de Turquie, d’Iran (un peu) et d’Australie. J’ai écumé des bars survoltés et enfumés avec de bons groupes de musique aux Balkans, en Turquie, au Vietnam et en Australie. J’ai utilisé toutes sortes de moyens de transport individuels et collectifs : moto, scooter, vélo, bus, train, voiture, tuktuk, bateau, avion… J’ai vu des vêtements de toutes sortes, de l’habit traditionnel musulman Salwar Kameez au Baloutchistan et au Pakistan aux magnifiques saris colorés de l’Inde et du Népal, des coiffes serties de perles et de coquillages du peuple des Kalash dans les montagnes du Pakistan aux turbans hindous de couleurs vives en Inde, des chapeaux pakol des pachtounes aux calottes aux motifs roses du Népal et des bérets noirs dans les montagnes au nord du Viêtnam.
Il y a encore tellement à voir et à visiter dans ce monde mais je ressens moins le besoin de repartir aussi loin et longtemps, désormais j’aspire à davantage de stabilité pour construire, bâtir dans la durée. Par ailleurs, même si tous les pays que j’ai visités m’ont beaucoup intéressé sur de nombreux plans, je ne me voyais pas non plus y rester pour faire ma vie ou alors seulement un temps. Finalement, je me sens bien en France avec mes proches et c’est un pays tellement riche et varié en culture, en paysages, en monuments et en gastronomie qu’il y a de quoi s’occuper 😊
Je ne pense pas avoir beaucoup changé sur le plan de ma personnalité car je suis à un âge relativement avancé où elle s’est déjà forgée au gré de mes expériences mais j’ai été marqué par certaines rencontres de voyageurs et d’habitants, par l’Histoire, la culture des pays traversés, leurs modes de vie, leurs spiritualités, l’hospitalité de nombreux habitants rencontrés sur la route et j’ai tiré certains enseignements de tout cela.
Ainsi, j’ai pu constater que l’on a souvent une image négative du pays voisin et qu’il vaut mieux privilégier les témoignages des personnes qui sont allés sur place en se basant sur les faits plutôt que sur des interprétations. Par exemple, au tout début de mon voyage, en Serbie, un restaurateur me mis en garde sur mon projet de rejoindre la Bulgarie en moto : « n’allez pas dans ce pays, c’est dangereux et les gens sont malhonnêtes !». J’avais envie de lui répondre que l’image que j’avais de son pays avant d’y venir était assez similaire et au final bien loin de la réalité. Ce cas de figure se répéterait assez souvent tout au long de mon parcours : « n’allez pas en Iran, n’allez pas au Baloutchistan, n’allez pas au Pakistan… ». Bien entendu, je ne veux pas verser dans l’excès inverse en disant que tout va bien ailleurs, que tout le monde est gentil et qu’il n’y a aucun dangers. Il faut rester vigilant car il y a des gens dangereux et malhonnêtes partout mais j’ai pu observer dans ce voyage que la majorité de la population est amicale du moment qu’on les traite avec respect. Ils ont les mêmes besoins fondamentaux que nous : passer de bons moments en famille et entre amis, échanger, plaisanter, se divertir, s’entraider, avoir une activité, trouver sa place dans la société. C’est une réflexion que je me suis faite en me baladant dans les nombreux jardins et parcs de Islamabad remplis de familles et d’amis se promenant paisiblement et en se tenant par la main alors que c’est une ville réputée dangereuse, comme le Pakistan dans son ensemble, et j’ai pu confirmer cette idée à de nombreuses reprises.
J’ai aussi été étonné par le hasard de certaines rencontres en me faisant la remarque qu’il s’était fallu de peu que l’on ne se croise pas si j’étais resté un jour de plus dans un endroit, si j’avais choisi un autre itinéraire, un autre logement. Je me souviens notamment de Furcan, un jeune turc rencontré dans une auberge en Cappadoce, il était aveugle et pourtant il parvenait à voyager en Turquie, à faire des rencontres, se servir de son smartphone et jouer de la flûte dans la rue. Grâce à lui, je fis la connaissance d’un sympathique argentin dénommé Pablo et ensemble nous visitèrent quelques églises troglodytes creusées dans la roche que Pablo décrivait avec de nombreux détails à Furcan, c’était très émouvant. Je me souviens également de Nagi, un jeune japonais qui étudiait le persan à l’université de Téhéran que j’avais rencontré dans une auberge à Kashan en Iran. Alors que le pays était en proie à des troubles internes importants et que de nombreux étrangers quittaient le pays ou annulaient leur voyage, Nagi poursuivait sereinement ses études et les iraniens rencontrés dans la rue étaient éberlués de le voir parler leur langue locale. Ce type de rencontre était à la fois déconcertante et stimulante, elle m’ouvrait d’autres horizons possibles. Tout comme Gijs, un jeune hollandais d’à peine 21 ans rencontré à Téhéran et faisant le même parcours que moi mais à moto alors qu’il avait tout juste le permis en poche ou Antoine et Camille qui faisaient tout ce trajet à vélo : on rencontre toujours plus fou et audacieux que soi dans le voyage !
J’ai aussi en souvenirs des aides salutaires de la part de sympathiques habitants locaux pendant des moments de galère comme lorsque j’avais cassé mon téléphone en tombant dans un caniveau profond à Bandar-Abbas et que Magid m’avait aidé à le réparer puis à m’héberger ou quand j’avais crevé un pneu à un péage au Rajasthan et que de jeunes indiens m’avaient aidé spontanément sans rien me demander en retour. Sans oublier les nombreux pakistanais qui m’aidèrent systématiquement pour trouver un taxi ou un hôtel à la sortie d’un trajet en bus dans le chaos des grandes villes ou les inconnus de tous pays qui m’aidèrent à trouver mon chemin.
Ce voyage a également été l’occasion de relever quelques défis en solitaire ou collectifs comme traverser la côte du Baloutchistan iranien en auto-stop en partie avec Shima, faire le tour du Rajasthan en moto, passer un col à 5400m pendant un trek dans les Annapurnas avec Bertrand et Dawa.
Certaines rencontres m’ont également permis de découvrir des lieux uniques dont je n’avais jamais entendu parler avant comme par exemple le site Gobekli Tepe datant de dix millénaires et la magnifique ville de Mardin en Turquie grâce à Sergül ou participer à une cérémonie pleine d’exaltation dans un temple hindou avec de jeunes indiens rencontrés dans une auberge à Varanasi ou visiter les lieux saints du bouddhisme en Inde et au Népal grâce à Monique, Alessandra et Matteo.
Ce voyage fut aussi pour moi la confirmation de mon goût pour l’écriture et du plaisir de partager mes écrits avec mes proches, de lire leurs commentaires et encouragements grâce à ce blog. C’est un bon support pour garder une trace écrite de ce voyage avec des photos et vidéos sélectionnées afin d’illustrer le texte car les détails s’effacent petit à petit de ma mémoire. Après le Népal, je comptais arrêter le blog car c’était la fin de mon parcours en itinérance sur la route et j’avais envie de faire une pause dans l’écriture pour profiter davantage du voyage. Mais, au fil des jours, j’ai ressenti un manque, j’avais envie de partager à nouveau mes découvertes et mes pensées sur des pays tout aussi intéressants que les précédents. Je constatais également les bienfaits de l’écriture pour moi-même car cela me permettait de faire le point, de prendre du recul sur les situations et les évènements que j’avais vécus comme une sorte de psychanalyse, d’introspection. J’avais besoin de mettre par écrit des mots appropriés pour décrire ce que je voyais et ce que je ressentais, de capturer certaines pensées fugaces de mon esprit avant qu’elles ne s’évanouissent, sélectionner celles qui me semblaient dignes d’intérêts puis les développer de manière synthétique et structurée pour former un ensemble lisible. La mise à jour du blog me permettait également d’avoir une petite activité dans la journée où je produisais quelque chose plutôt que d’être uniquement un consommateur de services (hébergement, restauration, transports…).
Le fait de m’éloigner pendant une longue durée de mon environnement familier m’a permis de me retrouver face à moi-même et de me redécouvrir dans de nouvelles situations ou rencontres, identifier mes qualités et mes défauts, mes forces et faiblesses. J’ai pu également prendre conscience de ce qui me manquait vraiment, notamment ma famille, mes amis et faire un bout de chemin plus ou moins long avec quelqu’un car, si le voyage itinérant en solitaire a les avantages de découvrir beaucoup d’endroits différents et de faire de nombreuses rencontres, on peut éprouver parfois une certaine fatigue de ce mouvement perpétuel, de ces découvertes merveilleuses mais éphémères et la solitude peut devenir pesante quand elle dure un certain temps.
Donc, si je refaisais un nouveau voyage de ce type, j’essaierais sans doute de rester un peu plus longtemps dans certains endroits quitte à en visiter moins, de faire davantage d’efforts pour apprendre plus de mots de la langue locale afin d’avoir des discussions plus profondes avec les gens du pays, peut-être aussi m’ouvrir encore plus aux autres, lâcher prise et être moins dans le contrôle du temps et de l’itinéraire, accepter davantage des invitations d’inconnus même si je suis fatigué ou que cela me retarde, tenter plus de défis comme faire du bivouac sauvage, traverser une partie à vélo ou à pied ou refaire de l’auto-stop. Mais il n’est pas forcément nécessaire de repartir, l’esprit du voyage ne s’arrête pas quand on rentre chez soi, on peut l’appliquer et l’améliorer dans toutes sortes de situations et d’endroits.
J’ai eu la chance dans ce voyage d’avoir beaucoup de temps à consacrer pour faire ce qui me plait : me balader, visiter, lire, écrire, faire des rencontres. Je me sens également en meilleure forme physique à mon retour que quand je suis parti grâce à une bonne hygiène de vie et une alimentation saine ainsi que des efforts physiques réguliers, j’ai l’impression d’avoir rajeuni de plusieurs années donc cela me donne de la force pour la suite.
Maintenant, c’est l’inconnu pour le futur de ma vie professionnelle et personnelle et cette fois-ci il n’y a pas de carte à consulter pour avoir une idée de ce qu’il m’attend, c’est à la fois excitant et un peu stressant. C’est l’occasion de se reposer des questions sur ce que l’on veut et peut faire, du style de vie dans lequel on peut pleinement s’épanouir et utiliser au mieux ses compétences pour une mission qui a du sens.
Quel sera mon prochain cap ?
Et vous, chers lecteurs et chères lectrices, avez-vous un cap ?