Suite et fin du jour 40 (26/10/2022)

La route au départ de Mardin longe des montagnes rocailleuses sur lesquelles poussent quelques oliviers éparpillés. Nous sommes à nouveau contrôlés plusieurs fois sur le trajet mais sans que cela ne prenne trop de temps. Le parcours me fait repasser au-dessus du fleuve Tigre puis j’aperçois des structures métalliques qui ressemblent à des puits de pétrole. Effectivement, après renseignements, la région proche de la ville de Batman que nous atteignons dispose de quelques puits d’extraction d’hydrocarbure. C’est une ville bien triste avec ses tours en béton au milieu d’une plaine plate et aride, elle pourrait faire concurrence à la ville de Gotham mais peut-être qu’elle a des atouts cachés.

Lors de la pause déjeuner, je fais connaissance avec deux voyageurs en sac à dos. L’un est un étudiant américain en archéologie qui voyage pendant un mois en Turquie après avoir terminé son master afin de découvrir les nombreux sites anciens dont dispose ce pays et il s’y plait beaucoup. L’autre voyageur est suisse, il a prévu de voyager pendant un an dans plusieurs pays, sa prochaine destination sera l’Egypte puis il a réservé avec une agence de voyage un parcours qui lui fera traverser toute l’Afrique du Kenya à l’Afrique du Sud.

Nous reprenons la route qui nous mène dans un très beau défilé de hautes montagnes avec un peu plus de verdure. Nous croisons plusieurs véhicules blindés ainsi que des camps retranchés de gendarmes sur les hauteurs à proximité de la route car je suppose que ce type de terrain montagneux est propice à abriter plus facilement des maquisards de tout ordre.

Nous arrivons en fin d’après-midi à Tatvan qui est une petite ville d’environ soixante mille habitants mais qui dispose d’une grande avenue avec tous les commerces nécessaires. Il n’y a pas de station de bus donc on nous dépose en plein centre et je peux facilement rejoindre mon appartement. Le propriétaire m’accueille chaleureusement pour me présenter le logement et répondre à mes questions. Je voulais visiter le cratère du Nemrut le lendemain et il m’indique qu’il n’y a pas de bus mais il me propose les services d’un taxi pour un prix que j’estime raisonnable donc j’accepte, ne voulant pas passer à côté de ce site naturel qui s’annonce grandiose.

Puis je rejoins à pied le lac de Van qui est tout proche afin d’admirer la vue sur cette immense étendue d’eau et sur les montagnes de chaque côté que le soleil couchant illumine de ses derniers rayons rouges flamboyants. Il y a une voie sur berge piétonne bien aménagée qui permet de longer le lac et où de nombreux passants s’y promènent. Ensuite, je rentre à l’appartement me faire cuire un bon plat de pâtes, passer quelques coups de fils et mettre à jour le blog bien entendu 😊

Le bord du lac à Tatvan

Jour 41 (27/10/2022)

Je me lève tôt afin de profiter pleinement de cette belle journée pour visiter les environs. Mon chauffeur de taxi me récupère en bas de chez moi comme un prince et nous roulons en direction du cratère volcanique Nemrut qui est à une vingtaine de kilomètres. Au départ de la ville, nous croisons les deux cyclistes que j’avais rencontrés dans le village de Karadut près du mont Nemrut : quel heureux hasard ! Je me doute qu’ils vont au même endroit que nous et que nous les reverrons au retour donc j’attendrais ce moment pour discuter avec eux afin de ne pas les arrêter dans leur lancée.

Le volcan du Nemrut est immense, il a un diamètre d’environ sept kilomètres avec un sommet culminant à près de trois milles mètres. On peut accéder par une route à l’intérieur du cratère qui abrite un grand et un petit lac ainsi que des forêts à une altitude d’environ deux mille deux cent mètres.

L’arrivée par la route sur le col de l’arrête entourant l’ancien volcan est époustouflante. D’un côté, on peut observer à perte de vue le lac de Van avec à son extrémité la ville de Tatvan et une chaîne de montagnes au sud. Puis, en se tournant vers le volcan, on découvre l’immensité du cratère ceinturé par de hautes falaises vertigineuses mais laissant tout de même la lumière du soleil éclairer l’ensemble du cratère qui se décompose en deux grandes parties avec, à l’est, des collines arides de pierre et de sable et un petit étang tandis que le côté ouest est plein de vie avec de la verdure autour du grand lac et de son petit frère.

Cette vue d’un petit univers en vase clos me rappelle le cratère Ngorongoro en Tanzanie que nous avions visité il y a une dizaine d’années avec mes deux frères sauf que cette fois-ci il n’y a pas autant d’animaux sauvages bien que les campeurs ont régulièrement la visite nocturne d’un ours (ce sera le cas pour les deux cyclistes).

Le cratère du volcan Nemrut

Puis nous nous rapprochons des deux lacs qui sont entourés d’arbres portant leurs habits de l’automne avec des dégradés des couleurs verte, jaune et orange. Le spectacle est magnifique, nous faisons de nombreux arrêts pour pouvoir apprécier les différents points de vue.

Les couleurs de l’automne dans le cratère

Puis, mon chauffeur me dépose à proximité du grand lac pour que je puisse me promener autour et je découvre de nouvelles couleurs mises en valeur par le soleil : le blanc des cailloux et l’eau bleu turquoise du lac. Je serais bien resté deux ou trois jours en campant sur place pour profiter au maximum de ce lieu en marchant tout autour du cratère puis à l’intérieur et en me baignant dans le lac mais je n’ai pas de tente, pas de véhicule et plus beaucoup de temps que je me suis moi-même fixé donc ce sera peut-être une autre fois.

L’eau turquoise du grand lac du cratère Nemrut

Nous croisons comme prévu les deux cyclistes sur la route du retour, ils ont bien avancé et ils sont à quelques kilomètres du col. Je demande au chauffeur de s’arrêter pour les féliciter et les encourager. Ils se rappellent de moi et sourient de ce hasard étonnant. Ils ont prévu de camper la nuit dans le cratère puis de reprendre leur route. Je suis admiratif et je les envie, le vélo est à mes yeux le moyen de se déplacer en voyage le plus noble de par les efforts physiques et mentaux qu’il requiert mais également le plus pratique car il permet tout de même de parcourir de longues distances par rapport à la marche.

Mais ce n’est pas le mode de voyage que j’ai choisi et je vais tâcher de tirer le meilleur parti de ma situation. Donc, lorsque mon taxi me redépose à mon logement vers midi, je décide de partir à pied à l’assaut des moyennes montagnes qui sont à proximité de la ville côté sud et où j’ai pu repérer un itinéraire depuis le bord du lac qui pourrait idéalement me mener sur un premier sommet puis revenir sur mes pas.

Après avoir déjeuner à l’appartement, je pars avec mon sac de protection de casque de moto en bandoulière comme à Karadut et mes bâtons de randonnée qui pourraient m’être utiles non seulement pour la marche mais également si je croise des chiens qui seraient trop agressifs. C’est une de mes craintes de par certains récits de voyageurs en Turquie que j’ai entendus. Au final, je croiserai des troupeaux de moutons mais sans chiens de garde, les moutons étaient soit en complète liberté ou bien accompagnés d’un enfant.

La pente est plutôt douce et j’arrive à trouver des chemins en dehors des grandes voies de circulation avec une vue en continue sur le lac et les montagnes donc c’est très agréable. J’arrive devant un terrain en pente fermé par des barbelés mais, après avoir longé la barrière, je trouve une petite route en terre dont l’accès à travers le champ est ouvert et qui suit la même direction que mon itinéraire. Puis, la route se sépare en différentes pistes et il me suffit de continuer de marcher sur celle qui mène au petit sommet que j’avais repéré, c’est une randonnée assez facile finalement et j’arrive à mon objectif en environ deux heures. Après une petite pause photos et boisson je redescends par le même chemin tout en admirant la vue sur le lac et le cratère Nemrut.

Le soir, je me fais à nouveau des pâtes car je ne m’en lasse jamais puis je continue la mise à jour de mon blog et surtout je me prépare à la suite de mon voyage dont la prochaine destination représentera un nouveau défi. J’arrive à prendre contact avec des voyageurs sur place pour obtenir davantage d’informations afin de mieux évaluer la situation. D’ailleurs, j’ai vu à Tatvan pour la première fois un panneau qui indiquait ce fameux pays : l’Iran. Je me laisse encore un peu de temps de réflexion en me dirigeant au plus près de la frontière avant de trancher.

Pour demain, mon objectif est de rejoindre la ville de Van en traversant le lac avec un bateau ferry qui fait le trajet une fois par jour pour transporter des wagons de marchandises en substitution du chemin de fer. Il appartient d’ailleurs à la société nationale turque de transport en train (TCDD). Mon hôte s’est gentiment renseigné pour moi car les horaires fluctuent d’un jour à l’autre mais normalement il y a un départ prévu le lendemain entre onze heures et midi.

Début du jour 42 (28/10/2022)

Au matin, je rejoins à pied le port de la ville dans l’espoir de pouvoir prendre le ferry. Le gardien à l’entrée du site me laisse passer après avoir vérifié mon passeport puis des personnes travaillant sur le site m’indiquent le bateau qui est prévu de partir et me laissent monter à bord. Néanmoins, chaque interlocuteur que je croise n’est pas en mesure de me donner une heure précise du départ du bateau mais je comprends qu’ils doivent d’abord le décharger puis le recharger donc il ne devrait pas partir avant le début d’après-midi. Surtout, j’apprends que le trajet dure cinq heures ce qui est très long au vu de la distance à parcourir alors que le trajet en bus dure seulement deux heures. Cela me fait hésiter mais j’aurais bien aimé essayer un autre moyen de transport et celui-ci me permettrait d’avoir une belle vue depuis le lac. En plus, il y a des canapés confortables et des tables à disposition des passagers donc je pourrais lire et travailler sur mon blog. Donc je décide d’attendre et, sachant que le voyage sera long, je vais déjeuner dans une petite cafétaria réservée aux travailleurs du port.

Ils sont nombreux attablés avec un verre de thé et en jouant aux dominos ou simplement en discutant. Ils ne me donnent pas l’impression d’être très pressés et je constate d’ailleurs que les wagons sont déchargés du bateau très lentement avec de longs temps d’attente. Lorsque je reviens au ferry, il vient à peine d’être vidé. Je croise d’autres travailleurs dans le salon réservé aux touristes, ils sont sympathiques, on discute mais je n’arrive toujours pas à savoir quand le bateau sera prêt à partir. Ils n’ont pas beaucoup d’informations ni même sur le type de marchandises qu’ils transportent.

Donc, finalement je décide d’abandonner le navire car le temps passe et j’ai encore la possibilité de prendre un bus mais il faut que je me dépêche. Tant pis, j’aurais essayé, cela aurait pu être original mais finalement cette liaison n’est pas adaptée pour les passagers et je comprends mieux pourquoi j’étais le seul.

Le déchargement des wagons du ferry qui n’en finit pas…

Je marche donc au bord de la route avec mon sac sur le dos et en plein soleil, un peu déçu et sans trop savoir quand j’arriverais à prendre un bus. Je ne croise pas non plus de dolmuş qui pourrait me rapprocher plus rapidement du centre-ville. En passant devant un café je demande à des personnes prenant le thé au soleil la bonne direction pour le bus de Van. Ils se lèvent avec le sourire en m’assurant que c’est facile et qu’ils vont m’aider mais tout d’abord ils me proposent de prendre le thé avec eux en attendant le prochain dolmuş. J’hésite un peu car je ne voudrais pas rater le prochain bus mais finalement j’accepte car ils sont très sympathiques, décontractés et puis, c’est ça aussi le voyage, le hasard des rencontres. Nous arrivons à discuter un peu en anglais de la ville de Tatvan que nous apprécions tous les trois puis, à peine ai-je terminé mon thé, qu’un dolmuş arrive à notre hauteur. Mon voisin de tablée lève naturellement le bras pour l’arrêter puis il explique au chauffeur que je souhaite prendre le bus de Van et je le remercie vivement en nous quittant. Quelques minutes plus tard le chauffeur m’indique l’arrêt où je dois descendre et un autre passager m’accompagne pour me montrer le bureau où je peux réserver mon billet de bus. Au guichet, le jeune garçon m’indique que le bus pour Van part dans à peine cinq minutes donc j’ai juste le temps de payer puis de mettre mon sac dans la soute du bus et nous sommes partis !

Tout s’est passé très vite, j’ai eu de la chance bien sûr avec les horaires de bus mais surtout beaucoup de prévenance de la part de ces nombreuses personnes rencontrées au hasard et qui m’ont aidé à trouver mon chemin, cela me fait complètement oublier l’épisode du ferry.

Finalement le trajet en bus est confortable, rapide et il offre une très belle vue sur la montagne et le lac donc c’était bien mieux que d’attendre le bateau.