Matinée tranquille à l’appartement de Van puis je prends un bus en direction de Doğubayazıt qui se situe à trente-cinq kilomètres de la frontière avec l’Iran mais aussi à une vingtaine de kilomètres du mont Ararat (ou Ağrı Dağı en turc), le plus haut sommet de la Turquie culminant à 5137 mètres d’altitude. Selon la légende, c’est là que se serait échoué l’Arche de Noé après avoir échappé au déluge.
La route est assez agréable en longeant partiellement le lac de Van avant de s’enfoncer plus profondément dans les montagnes. Il y a encore de nombreux contrôles dans la région mais à chaque fois cela se passe rapidement et je ne ressens pas de tension particulière.
J’ai prévu de passer trois nuits sur place afin de me préparer au mieux à la suite du voyage, rattraper mon retard sur le blog et surtout passer des coups de fils à mes proches tant que c’est facile.
Doğubayazıt est une ville moyenne de cent mille habitants sur un haut plateau à 1900 mètres d’altitude entourée par de belles et hautes montagnes qui compensent la tristesse des immeubles en béton qui sont la norme dans la région. Les habitants ont la chance d’avoir une vue magnifique sur le mont Ararat mais par contre il fait plus froid à cette altitude.
Je suis hébergé chez Izzet, un jeune professeur de vingt-six ans qui est originaire d’Ankara mais, comme en France, les jeunes professeurs sont envoyés dans des zones difficiles ou isolées avant de pouvoir choisir des destinations qui leur conviennent davantage. Izzet est également musicien et chanteur dans un groupe et il me fera écouter quelques-unes de ses chansons en vidéos ou en directe à son appartement. Décidément, la musique turque m’aura accompagné pendant tout mon séjour en Turquie et c’est ce qui m’a incité à apprendre les paroles d’une chanson que j’apprécie beaucoup en souvenir de tous ces bons moments musicaux et pour rendre hommage à la musique turque qui mérite d’être connue (cf extraits et liens à la fin de l’article).
Donc, je passe beaucoup de temps au téléphone ou sur mon ordinateur et je fais juste une rapide sortie en ville pour dîner dans la rue commerçante de la ville.
Jour 45 (01/11/2022)
Toute la matinée, je continue de me renseigner sur l’Iran pour préparer mon voyage car il y a pas mal de changements à prévoir que je présenterai plus tard et je continue également mon blog. Je prends ensuite mon déjeuner en ville et j’attrape un dolmuş grâce aux indications de Izzet qui me permet de me rendre au palais Ishak Pacha situé à environ cinq kilomètres de la ville dans les montagnes.
Ce monument s’insert très bien dans le décor naturel avec ses pierres de la même couleur et il y a de beaux points de vue sur les montagnes et le haut plateau. Ce palais date du dix-huitième siècle et il disposait de nombreuses salles pour la réception de visiteurs mais aussi pour le confort de son illustre propriétaire avec des bains, une bibliothèque, un harem… Il ne reste désormais plus que les murs et quelques restes de toiture avec également de beaux motifs en relief sculptés sur les arches au-dessus des fenêtres et des portes. La mosquée est placée au centre et reste en bon état, j’aurais la chance de la visiter seul à l’intérieur et ce fut un moment très agréable où je ressentais une certaine sérénité. Puis je me balade autour du palais pour contempler la vue et je reprends un dolmuş pour rentrer en ville.
En rentrant à pied vers mon logement, je découvre le mont Ararat au détour d’une rue en plein coucher de soleil, il est magnifique avec sa robe de neige blanche qui se teinte progressivement de rose et j’escalade un petit muret afin de pouvoir admirer ce spectacle le plus longtemps possible.
Jour 46 (02/11/2022)
A nouveau, je reste la matinée à l’appartement pour préparer mon voyage et compléter le blog puis je vais déjeuner en ville. Ensuite, je marche le long d’une grande rue en direction du mont Ararat dans le but de trouver un point de vue plus dégagé puis, après avoir repéré un endroit intéressant, je rentre en dolmuş pour y revenir en fin de journée afin d’assister au coucher du soleil sur le mont Ararat dont je ne me lasse jamais.
En regardant vers l’est, j’imagine au loin la frontière avec l’Iran qui est au centre de mes réflexions depuis de nombreux jours, nous verrons bien ce qu’il en est.
Ensuite, de retour à l’appartement, je discute avec Izzet autour d’un traditionnel thé et nous reprenons ensemble la fameuse chanson turque que j’ai apprise et je vous laisse découvrir ici notre interprétation en l’hommage de tous ces bons concerts de musique turcs que j’ai pu écouter avec plaisir à Kadiköy, Eskişehir et Adana!!
Et voici le lien vers la chanson originale ainsi que ci-dessous les paroles en turc et une traduction française qui mériterait sans doute d’être révisée, avis aux experts !
Paroles de la chanson avec la traduction
J’ai trouvé quelque part au fond de toi senin derinlerinde bir yerde buldum
Mes racines qui s’étreindront étroitement Sımsıkı sarılacak karışacak köklerimi
être avec toi pour voir Görmek beraber olmak seninle
C’est peut-être beau mais Çok güzel belki ama
Rêver est différent Düşlemek bambaşka
Ta peau a pris sa blancheur de la lune Tenin almış beyazlığını aydan
la couleur de tes cheveux de la nuit Saçlarının rengi geceden
j’aime cette nuit Bundan geceye sevdam
Pendant que tu couvres ton coeur avec moi Sen örterken benimle kalbini
Prends mon sentiment comme mon esprit Al aklım gibi hissimi
Prends-le parce que ça me manque Al çünkü özlüyorum
Pendant que tu couvres ton coeur avec moi Sen örterken benimle kalbini
Prends mon sentiment comme mon esprit Al aklım gibi hissimi
Prends-le parce que ça me manque Al çünkü özlüyorum
Ta peau a pris sa blancheur de la lune Tenin almış beyazlığını aydan
la couleur de tes cheveux de la nuit Saçlarının rengi geceden
j’aime cette nuit Bundan geceye sevdam
Pendant que tu couvres ton coeur avec moi Sen örterken benimle kalbini
Prends mon sentiment comme mon esprit Al aklım gibi hissimi
Prends-le parce que ça me manque Al çünkü özlüyorum
Pendant que tu couvres ton coeur avec moi Sen örterken benimle kalbini
Prends mon sentiment comme mon esprit Al aklım gibi hissimi
Prends-le parce que ça me manque Al çünkü özlüyorum
J’arrive en milieu d’après-midi dans mon nouveau logement, c’est encore une chambre dans un appartement que j’ai loué sur Airbnb sauf que cette fois-ci, il n’y a qu’une chambre et mon hôte dormira sur le canapé. C’est un peu gênant comme situation et je n’avais pas fait attention à ce détail dans l’annonce mais mon hôte est très sympathique et il me met à l’aise. Il s’appelle Murat, il a vingt-huit ans et, de ce que j’ai compris, il donne des cours pour des personnes handicapées.
Sa bibliothèque me plait, il y a des livres variés avec notamment des grands classiques de la littérature comme Cervantes, Dostoïevski, Dumas, Kakfa et Stendhal mais aussi des livres plus récents qui traitent de différents sujets comme l’Histoire ou des romans. Je suis passionné par la lecture grâce à mes parents et quand je rentre chez des gens je suis toujours intéressé de jeter un œil aux livres qui sont dans leur bibliothèque, non seulement car cela me permet d’en savoir un peu plus sur leurs goûts et si nous en partageons certains, mais aussi par simple curiosité de découvrir un nouvel auteur ou un livre au titre intrigant. Je vous laisse donc imaginer mon sentiment quand je rentre dans une librairie…
Après avoir fait une petite pause à l’appartement, je pars découvrir la ville de Van avant qu’il fasse nuit et c’est là que je me rend compte que c’est une ville très étendue et surtout qu’il n’y a pas vraiment de quartier historique, il y a simplement un ancien château sur un rocher à proximité du lac mais il est situé à quasiment une heure de marche ! Ce n’est clairement pas comme à Tatvan où, même s’il n’y avait pas non plus d’anciens bâtiments, on pouvait accéder rapidement au lac et à de belles vues sur les montagnes. Néanmoins, mon logement se situe dans le centre-ville avec beaucoup de magasins et de restaurants et il y a aussi de nombreux dolmuş qui circulent donc je n’aurai pas de difficulté pour trouver à manger ou me déplacer. Pour aujourd’hui, je préfère continuer la visite de la ville à pied et, en rejoignant une grande avenue, j’aperçois une majestueuse chaîne de montagnes au loin qui rougit de la révérence que lui fait le soleil. Ce spectacle me captive et je décide de me rapprocher en espérant trouver une vue plus dégagée mais la ville est décidément très étendue et, finalement, le meilleur poste d’observation que je trouverai sera un monticule de terre dans un terrain vague qui me permettra de prendre un peu de hauteur et de faire quelques photos souvenirs comme ci-dessous.
Puis, je rentre à l’appartement, Murat me rejoint un peu plus tard et nous discutons autour d’un thé en utilisant Google traduction, notamment du football dont il est fan et il suit avec attention les résultats des différents championnats tout en misant quelques sommes pour des paris en ligne. Le Paris Saint Germain lui plaît mais à ses yeux notre étoile tricolore Mbappé est trop interessé par l’argent et Murat préfère les deux autres célébrités du club, Messi et Neymar. Espérons que ce sera la bonne année pour la ligue des champions !
Ensuite, mon hôte me propose gentiment de me commander un kebap alors qu’il doit s’absenter pour quelques temps. J’accepte volontiers car je deviens un peu plus casanier le soir et surtout si c’est pour dîner seul au restaurant. Cela me permet de continuer la mise à jour du blog et demain je pourrais me consacrer à la découverte de la ville de Van pendant la journée. Lorsque Murat revient à l’appartement, nous regardons le film Jumanji avec l’acteur Robin Williams, c’est toujours aussi distrayant que dans mes souvenirs d’enfant : l’histoire est originale, le suspens tient en haleine, il y a de très bonnes scènes comiques et les effets spéciaux de l’époque sont encore crédibles. Bref, un très bon film des années 90 à revoir sans modération!
Jour 43 (29/10/2022)
La ville de Van est connue pour ses copieux petits déjeuners donc j’en profite pour faire un brunch avant d’aller visiter l’ancien château. Mon logement étant situé en plein centre, je trouve assez facilement un café qui propose ce type de petit-déjeuner et, en effet, c’est très complet avec du pain, des fromages, des olives, tomates, concombres, des œufs et une sorte d’omelette à la tomate, des confitures, du miel et bien entendu un thé pour digérer tout ça !
Ensuite, je prends un dolmuş qui m’emmène à proximité de l’ancienne forteresse située sur le sommet d’un rocher proche du lac. Elle a été construite par l’ancienne civilisation ourartéenne dont je découvre l’existence. Elle a dominé la région pendant plusieurs siècles en bataillant régulièrement avec ses voisins les assyriens. Désormais, il ne reste de leur présence dans la ville que cette forteresse à moitié en ruine et quelques fondations d’anciennes habitations autour.
Cependant, ce site permet d’avoir une très belle vue sur la chaîne de montagnes que j’avais aperçu la veille et également sur le lac de Van. Il y a un peu de condensation brumeuse dans l’air au loin donc on a du mal à distinguer toutes les montagnes autour du lac, par temps clair le spectacle doit être encore plus grandiose. Je prends mon temps car je n’ai pas grand-chose d’autre à visiter, je suis peu intéressé pour m’enfermer dans un musée avec ce beau temps et l’île de Akdamar sur laquelle a été bâtie une très belle église arménienne est à une cinquantaine de minutes de route donc je n’aurai pas assez de temps et cela me coûterai cher en taxi. J’opte pour me rapprocher à pied du lac afin de faire une pause puis revenir à la forteresse pour admirer la vue pendant le coucher de soleil.
De retour au château en fin de journée, une personne vient à ma rencontre pour faire ma connaissance voyant que je suis un touriste. Il parle assez bien anglais et il me fait des éloges sur l’ouverture d’esprit des français qu’il a rencontrés notamment sur ce site car il y travaille. En apprenant que je suis à pied il me propose de me montrer un chemin qui m’éviterait un long détour afin de retrouver la route principale où passent les dolmuş. En effet, l’entrée du site n’est pas pratique quand on est en transport en commun donc cela m’arrangerait et en plus je découvrirais un autre chemin. Néanmoins je trouve bizarre qu’il se propose de m’accompagner alors qu’il a un travail ici mais peut-être que c’est juste pour le début du parcours. Pour le moment, je m’installe sur une large plateforme au point le plus haut pour regarder la vue et lire en attendant le coucher du soleil alors que mon interlocuteur s’éloigne. Puis, sur le retour, je le croise à nouveau et il me propose de le suivre pour me montrer le fameux chemin. Cela commence par une descente assez pentue mais gérable avec de bonnes chaussures, nous ne sommes que tous les deux à emprunter cette voie et nous arrivons sur une plateforme où il y a apparemment d’anciennes tombes creusées dans la roche et protégées par des grilles. Il me propose de les visiter mais je commence à être sur mes gardes car la situation est étrange même s’il fait tout pour se montrer souriant et aimable. Puis nous arrivons à un passage qui est cette fois-ci bien plus technique, il faut désescalader en s’aidant de ses mains et de ses jambes en étant face à la pente afin de bien voir les prises. Ce n’est pas non plus trop risqué car il y a de bonnes prises, j’ai de bonnes chaussures et j’ai fait de l’escalade dans le passé mais je commence à avoir encore plus de doutes qu’il me suive aussi loin alors qu’il est sensé s’occuper de la fermeture du site. Il passe devant pour me montrer les prises, je le suis et il devient de plus en plus pressant, s’inquiétant que je ne place pas mes mains et mes pieds aux bons endroits et me donnant plein d’indications que je n’arrive pas à comprendre. Tout à coup, il pose sa main sur ma poche de jean qui contient mon portefeuille et il s’y agrippe quelques secondes soi-disant pour éviter qu’il tombe de ma poche. Je ne m’y attendais pas du tout et je pouvais difficilement bouger dans la position où j’étais mais je pousse un cri de colère et je remonte en hauteur, là, je sens que je ne maîtrise plus la situation. Il continue de m’expliquer qu’il a fait ça pour m’aider et éviter que mon portefeuille tombe et il me propose de le ranger dans mon sac, ce que je fais sans penser que dans le peu de temps qu’il a eu la main dessus il ait pu prendre quoi que ce soit. J’hésite à repartir en arrière mais il faudrait encore remonter la pente raide alors qu’à ce niveau on semble proche d’avoir fini la partie difficile. Donc je continue de descendre avec lui mais en prenant mes distances et en parlant peu. Je suis encore sous l’effet de la surprise et j’ai du mal à analyser ce qu’il se passe mais clairement il y a quelque chose qui ne va pas alors qu’il essaye toujours de me rassurer en me disant qu’il voulait m’aider. J’accélère le pas pour sortir de cette situation au plus vite en regardant autour de moi s’il n’y avait pas des complices ou un risque que je sois isolé car dans ma tête il n’a pas eu le temps de me voler mais cela pourrait arriver. Nous croisons cette fois-ci quelques promeneurs donc ma tension redescend peu à peu et nous arrivons enfin en bas. Je lui laisse un petit billet de l’équivalent de 1€ et je m’en vais avec le sentiment très désagréable que la situation m’a échappé.
En rentrant à l’appartement j’essaye de me changer les idées avec mon hôte Murat, nous commandons ensemble un repas chez lui et nous écoutons de la musique, j’essaye en parallèlle d’apprendre une chanson turque qui me plaît beaucoup.
Ce n’est que le lendemain matin lorsque je ferai les comptes de ce qu’il me reste comme argent que je me rendrai compte qu’il me manque plusieurs billets pour une somme d’environ une trentaine d’euros. Donc je me suis bien fait voler, il a été efficace car cela a duré peu de temps, il avait peut-être déjà repéré où étaient mes billets quand j’avais ouvert mon porte feuille pour payer l’entrée du site et sans doute qu’il a profité de la situation de la désescalade quand j’étais concentré sur mes prises pour bien se préparer et se lancer au bon moment. Cependant, en y réfléchissant à tête reposée, j’aurais dû me douter que c’était louche avec tous les signaux d’alertes que j’avais auparavant mais je n’y ai pas prêté suffisamment attention en pensant pouvoir gérer la situation.
Je préviens Murat de ce qu’il s’est passé pour qu’il puisse éventuellement informer les gérants du site et la police ou au moins les prochains touristes qu’il accueillerait.
La route au départ de Mardin longe des montagnes rocailleuses sur lesquelles poussent quelques oliviers éparpillés. Nous sommes à nouveau contrôlés plusieurs fois sur le trajet mais sans que cela ne prenne trop de temps. Le parcours me fait repasser au-dessus du fleuve Tigre puis j’aperçois des structures métalliques qui ressemblent à des puits de pétrole. Effectivement, après renseignements, la région proche de la ville de Batman que nous atteignons dispose de quelques puits d’extraction d’hydrocarbure. C’est une ville bien triste avec ses tours en béton au milieu d’une plaine plate et aride, elle pourrait faire concurrence à la ville de Gotham mais peut-être qu’elle a des atouts cachés.
Lors de la pause déjeuner, je fais connaissance avec deux voyageurs en sac à dos. L’un est un étudiant américain en archéologie qui voyage pendant un mois en Turquie après avoir terminé son master afin de découvrir les nombreux sites anciens dont dispose ce pays et il s’y plait beaucoup. L’autre voyageur est suisse, il a prévu de voyager pendant un an dans plusieurs pays, sa prochaine destination sera l’Egypte puis il a réservé avec une agence de voyage un parcours qui lui fera traverser toute l’Afrique du Kenya à l’Afrique du Sud.
Nous reprenons la route qui nous mène dans un très beau défilé de hautes montagnes avec un peu plus de verdure. Nous croisons plusieurs véhicules blindés ainsi que des camps retranchés de gendarmes sur les hauteurs à proximité de la route car je suppose que ce type de terrain montagneux est propice à abriter plus facilement des maquisards de tout ordre.
Nous arrivons en fin d’après-midi à Tatvan qui est une petite ville d’environ soixante mille habitants mais qui dispose d’une grande avenue avec tous les commerces nécessaires. Il n’y a pas de station de bus donc on nous dépose en plein centre et je peux facilement rejoindre mon appartement. Le propriétaire m’accueille chaleureusement pour me présenter le logement et répondre à mes questions. Je voulais visiter le cratère du Nemrut le lendemain et il m’indique qu’il n’y a pas de bus mais il me propose les services d’un taxi pour un prix que j’estime raisonnable donc j’accepte, ne voulant pas passer à côté de ce site naturel qui s’annonce grandiose.
Puis je rejoins à pied le lac de Van qui est tout proche afin d’admirer la vue sur cette immense étendue d’eau et sur les montagnes de chaque côté que le soleil couchant illumine de ses derniers rayons rouges flamboyants. Il y a une voie sur berge piétonne bien aménagée qui permet de longer le lac et où de nombreux passants s’y promènent. Ensuite, je rentre à l’appartement me faire cuire un bon plat de pâtes, passer quelques coups de fils et mettre à jour le blog bien entendu 😊
Jour 41 (27/10/2022)
Je me lève tôt afin de profiter pleinement de cette belle journée pour visiter les environs. Mon chauffeur de taxi me récupère en bas de chez moi comme un prince et nous roulons en direction du cratère volcanique Nemrut qui est à une vingtaine de kilomètres. Au départ de la ville, nous croisons les deux cyclistes que j’avais rencontrés dans le village de Karadut près du mont Nemrut : quel heureux hasard ! Je me doute qu’ils vont au même endroit que nous et que nous les reverrons au retour donc j’attendrais ce moment pour discuter avec eux afin de ne pas les arrêter dans leur lancée.
Le volcan du Nemrut est immense, il a un diamètre d’environ sept kilomètres avec un sommet culminant à près de trois milles mètres. On peut accéder par une route à l’intérieur du cratère qui abrite un grand et un petit lac ainsi que des forêts à une altitude d’environ deux mille deux cent mètres.
L’arrivée par la route sur le col de l’arrête entourant l’ancien volcan est époustouflante. D’un côté, on peut observer à perte de vue le lac de Van avec à son extrémité la ville de Tatvan et une chaîne de montagnes au sud. Puis, en se tournant vers le volcan, on découvre l’immensité du cratère ceinturé par de hautes falaises vertigineuses mais laissant tout de même la lumière du soleil éclairer l’ensemble du cratère qui se décompose en deux grandes parties avec, à l’est, des collines arides de pierre et de sable et un petit étang tandis que le côté ouest est plein de vie avec de la verdure autour du grand lac et de son petit frère.
Cette vue d’un petit univers en vase clos me rappelle le cratère Ngorongoro en Tanzanie que nous avions visité il y a une dizaine d’années avec mes deux frères sauf que cette fois-ci il n’y a pas autant d’animaux sauvages bien que les campeurs ont régulièrement la visite nocturne d’un ours (ce sera le cas pour les deux cyclistes).
Puis nous nous rapprochons des deux lacs qui sont entourés d’arbres portant leurs habits de l’automne avec des dégradés des couleurs verte, jaune et orange. Le spectacle est magnifique, nous faisons de nombreux arrêts pour pouvoir apprécier les différents points de vue.
Puis, mon chauffeur me dépose à proximité du grand lac pour que je puisse me promener autour et je découvre de nouvelles couleurs mises en valeur par le soleil : le blanc des cailloux et l’eau bleu turquoise du lac. Je serais bien resté deux ou trois jours en campant sur place pour profiter au maximum de ce lieu en marchant tout autour du cratère puis à l’intérieur et en me baignant dans le lac mais je n’ai pas de tente, pas de véhicule et plus beaucoup de temps que je me suis moi-même fixé donc ce sera peut-être une autre fois.
Nous croisons comme prévu les deux cyclistes sur la route du retour, ils ont bien avancé et ils sont à quelques kilomètres du col. Je demande au chauffeur de s’arrêter pour les féliciter et les encourager. Ils se rappellent de moi et sourient de ce hasard étonnant. Ils ont prévu de camper la nuit dans le cratère puis de reprendre leur route. Je suis admiratif et je les envie, le vélo est à mes yeux le moyen de se déplacer en voyage le plus noble de par les efforts physiques et mentaux qu’il requiert mais également le plus pratique car il permet tout de même de parcourir de longues distances par rapport à la marche.
Mais ce n’est pas le mode de voyage que j’ai choisi et je vais tâcher de tirer le meilleur parti de ma situation. Donc, lorsque mon taxi me redépose à mon logement vers midi, je décide de partir à pied à l’assaut des moyennes montagnes qui sont à proximité de la ville côté sud et où j’ai pu repérer un itinéraire depuis le bord du lac qui pourrait idéalement me mener sur un premier sommet puis revenir sur mes pas.
Après avoir déjeuner à l’appartement, je pars avec mon sac de protection de casque de moto en bandoulière comme à Karadut et mes bâtons de randonnée qui pourraient m’être utiles non seulement pour la marche mais également si je croise des chiens qui seraient trop agressifs. C’est une de mes craintes de par certains récits de voyageurs en Turquie que j’ai entendus. Au final, je croiserai des troupeaux de moutons mais sans chiens de garde, les moutons étaient soit en complète liberté ou bien accompagnés d’un enfant.
La pente est plutôt douce et j’arrive à trouver des chemins en dehors des grandes voies de circulation avec une vue en continue sur le lac et les montagnes donc c’est très agréable. J’arrive devant un terrain en pente fermé par des barbelés mais, après avoir longé la barrière, je trouve une petite route en terre dont l’accès à travers le champ est ouvert et qui suit la même direction que mon itinéraire. Puis, la route se sépare en différentes pistes et il me suffit de continuer de marcher sur celle qui mène au petit sommet que j’avais repéré, c’est une randonnée assez facile finalement et j’arrive à mon objectif en environ deux heures. Après une petite pause photos et boisson je redescends par le même chemin tout en admirant la vue sur le lac et le cratère Nemrut.
Le soir, je me fais à nouveau des pâtes car je ne m’en lasse jamais puis je continue la mise à jour de mon blog et surtout je me prépare à la suite de mon voyage dont la prochaine destination représentera un nouveau défi. J’arrive à prendre contact avec des voyageurs sur place pour obtenir davantage d’informations afin de mieux évaluer la situation. D’ailleurs, j’ai vu à Tatvan pour la première fois un panneau qui indiquait ce fameux pays : l’Iran. Je me laisse encore un peu de temps de réflexion en me dirigeant au plus près de la frontière avant de trancher.
Pour demain, mon objectif est de rejoindre la ville de Van en traversant le lac avec un bateau ferry qui fait le trajet une fois par jour pour transporter des wagons de marchandises en substitution du chemin de fer. Il appartient d’ailleurs à la société nationale turque de transport en train (TCDD). Mon hôte s’est gentiment renseigné pour moi car les horaires fluctuent d’un jour à l’autre mais normalement il y a un départ prévu le lendemain entre onze heures et midi.
Début du jour 42 (28/10/2022)
Au matin, je rejoins à pied le port de la ville dans l’espoir de pouvoir prendre le ferry. Le gardien à l’entrée du site me laisse passer après avoir vérifié mon passeport puis des personnes travaillant sur le site m’indiquent le bateau qui est prévu de partir et me laissent monter à bord. Néanmoins, chaque interlocuteur que je croise n’est pas en mesure de me donner une heure précise du départ du bateau mais je comprends qu’ils doivent d’abord le décharger puis le recharger donc il ne devrait pas partir avant le début d’après-midi. Surtout, j’apprends que le trajet dure cinq heures ce qui est très long au vu de la distance à parcourir alors que le trajet en bus dure seulement deux heures. Cela me fait hésiter mais j’aurais bien aimé essayer un autre moyen de transport et celui-ci me permettrait d’avoir une belle vue depuis le lac. En plus, il y a des canapés confortables et des tables à disposition des passagers donc je pourrais lire et travailler sur mon blog. Donc je décide d’attendre et, sachant que le voyage sera long, je vais déjeuner dans une petite cafétaria réservée aux travailleurs du port.
Ils sont nombreux attablés avec un verre de thé et en jouant aux dominos ou simplement en discutant. Ils ne me donnent pas l’impression d’être très pressés et je constate d’ailleurs que les wagons sont déchargés du bateau très lentement avec de longs temps d’attente. Lorsque je reviens au ferry, il vient à peine d’être vidé. Je croise d’autres travailleurs dans le salon réservé aux touristes, ils sont sympathiques, on discute mais je n’arrive toujours pas à savoir quand le bateau sera prêt à partir. Ils n’ont pas beaucoup d’informations ni même sur le type de marchandises qu’ils transportent.
Donc, finalement je décide d’abandonner le navire car le temps passe et j’ai encore la possibilité de prendre un bus mais il faut que je me dépêche. Tant pis, j’aurais essayé, cela aurait pu être original mais finalement cette liaison n’est pas adaptée pour les passagers et je comprends mieux pourquoi j’étais le seul.
Le déchargement des wagons du ferry qui n’en finit pas…
Je marche donc au bord de la route avec mon sac sur le dos et en plein soleil, un peu déçu et sans trop savoir quand j’arriverais à prendre un bus. Je ne croise pas non plus de dolmuş qui pourrait me rapprocher plus rapidement du centre-ville. En passant devant un café je demande à des personnes prenant le thé au soleil la bonne direction pour le bus de Van. Ils se lèvent avec le sourire en m’assurant que c’est facile et qu’ils vont m’aider mais tout d’abord ils me proposent de prendre le thé avec eux en attendant le prochain dolmuş. J’hésite un peu car je ne voudrais pas rater le prochain bus mais finalement j’accepte car ils sont très sympathiques, décontractés et puis, c’est ça aussi le voyage, le hasard des rencontres. Nous arrivons à discuter un peu en anglais de la ville de Tatvan que nous apprécions tous les trois puis, à peine ai-je terminé mon thé, qu’un dolmuş arrive à notre hauteur. Mon voisin de tablée lève naturellement le bras pour l’arrêter puis il explique au chauffeur que je souhaite prendre le bus de Van et je le remercie vivement en nous quittant. Quelques minutes plus tard le chauffeur m’indique l’arrêt où je dois descendre et un autre passager m’accompagne pour me montrer le bureau où je peux réserver mon billet de bus. Au guichet, le jeune garçon m’indique que le bus pour Van part dans à peine cinq minutes donc j’ai juste le temps de payer puis de mettre mon sac dans la soute du bus et nous sommes partis !
Tout s’est passé très vite, j’ai eu de la chance bien sûr avec les horaires de bus mais surtout beaucoup de prévenance de la part de ces nombreuses personnes rencontrées au hasard et qui m’ont aidé à trouver mon chemin, cela me fait complètement oublier l’épisode du ferry.
Finalement le trajet en bus est confortable, rapide et il offre une très belle vue sur la montagne et le lac donc c’était bien mieux que d’attendre le bateau.
Grâce à l’aide de Hakan, j’ai pu accéder facilement à la station de bus pour rejoindre la ville de Mardin qui est cent kilomètres plus au Sud. C’est Sergül, mon hôte à Adana, qui m’avait conseillé de visiter cette ville et, en effet, quand j’avais vu les photos je m’étais demandé pourquoi il n’y en avait aucune mention dans les guides touristiques que j’avais lu. C’est peut-être le fait qu’elle soit située à trente-cinq kilomètres de la frontière syrienne et donc éventuellement jugée à risque du fait des nombreuses années de conflits qui ont ensanglanté ce pays ? Pourtant on se sent en sécurité à Mardin, il y a très peu de présence militaire et il y a beaucoup de touristes turcs qui viennent visiter cette ville magnifique.
Une nouvelle fois aidé par des passants, je prends un dolmuş qui m’emmène sur les hauteurs du centre-ville où se trouve ma chambre. Cette fois-ci, je n’ai réservé qu’une seule nuit par précaution et j’ai bien fait car, bien que mon logement soit situé en plein centre, c’est la première fois que j’ai des toilettes « à la turque » et surtout, en guise de douche, un saut d’eau à remplir au robinet avec une résistance électrique pour chauffer l’eau… Je profite quand même de la vue sur la ville depuis la terrasse et du wifi pour passer des coups de fils et mettre à jour le blog mais je réserve déjà un autre logement pour la deuxième nuit bien plus attrayant et pour quelques euros de plus seulement.
Puis j’arpente les rues en gravissant les marches des nombreux escaliers de la ville afin d’avoir une meilleure vue d’ensemble et j’arrive dans un cimetière en surplomb, juste en dessous d’une ancienne forteresse bâtie sur un pic rocheux qui est fermée au public. Cela me permet d’identifier des monuments que je rejoins par la suite dont notamment une ancienne école coranique. La plupart sont ouverts au public avec parfois un ticket d’entrée à faible prix.
L’architecture de la ville de Mardin a des similitudes avec la ville de Şanlıurfa en raison de ses ruelles étroites et sinueuses formées par une succession de maisons anciennes mais, avec cette fois-ci, des pierres de couleur ocre. De plus, les habitations de la vieille ville sont situées en hauteur à flanc de colline donc elles offrent de nombreux points de vue sur la vallée mésopotamienne ainsi que sur les collines rocheuses autour. Je me sens à nouveau en plein Moyen Orient.
Ruelle du centre-ville de Mardin
Historiquement, ce fut une ancienne ville chrétienne et il reste encore quelques anciennes églises à visiter en ville ainsi que des monastères dans la campagne. Puis, au fil des siècles, après avoir été disputée par différentes armées, la ville est passée sous influence musulmane qui l’a étoffé de nombreuses mosquées ainsi que de quelques écoles coraniques dont la finesse des décorations sculptées dans la pierre sur les arches autour des portes et des fenêtres me rappelle l’Andalousie et le célèbre palais de l’Alhambra sur les hauteurs de la ville de Grenade.
Très belles décorations des arches au-dessus des portes et fenêtres
Il y a également de magnifiques minarets qui s’élèvent vers le ciel et dont l’éclairage la nuit met très bien en valeur leurs ornements. Enfin, tous les bâtiments et maisons sont coiffés d’un toit plat dont une grande partie sont aménagés en terrasses et facilement accessibles afin d’apprécier sous tous les angles et avec une luminosité différente à chaque heure de la journée la vue grandiose sur la ville et la vallée environnante.
,Vue sur la ville de Mardin, les collines autour et la plaine de la Mésopotamie
Lors de ma visite, je fais la connaissance d’une jeune turque habitant temporairement la ville en tant que « nomade digitale », c’est-à-dire qu’elle peut travailler à distance avec son ordinateur du moment qu’elle a une bonne connexion internet. Son prénom est Nuriye, elle fait partie du service client d’une célèbre plateforme en ligne qui permet d’écouter de la musique avec un large choix et voyage en Turquie au gré de ses envies. Elle avait également voyagé en Grèce auparavant. En parallèle de cette activité, Nuriye a aussi des projets personnels pour faire des reportages vidéo, peut-être même écrire un livre sur des sujets qui la passionnent.
Etant dans la ville plus longtemps que moi, elle me fait découvrir un café restaurant en terrasse avec une jolie vue sur le coucher de soleil puis nous nous séparons car Nuriye doit participer à un cours en ligne et moi aussi j’ai une activité de nomade digital qui m’attend avec la mise à jour de mon blog.
Coucher de soleil sur la ville de Mardin
Jour 39 (26/10/2022)
Le matin, je prends un copieux petit déjeuner sur le toit d’un immeuble aménagé en terrasse avec des tapis et des coussins au sol et toujours une vue panoramique sur la ville et la vallée. Là, je me sens vraiment au Moyen Orient. Puis, je déménage mes affaires dans mon nouveau logement avant de continuer la visite de la ville qui recèle de trésors architecturaux que l’on ne peut découvrir qu’en marchant dans les rues sinueuses.
Je visite le musée de la ville qui est moins fourni que celui de la ville d’Adana mais qui permet d’observer des objets anciens, des pièces de monnaie datant de l’Antiquité ainsi que des vêtements et des coutumes de la population locale. J’apprends également que la ville de Mardin était située sur la route de la soie d’où son importance stratégique.
Ensuite, je me promène un peu plus bas en ville où se trouvent des rues commerçantes plus modestes avec des étals de marchandises et des ateliers d’artisans tandis que sur la rue principale du centre-ville ce sont plutôt des boutiques luxueuses qui vendent des bijoux ou bien des produits gastronomiques bien emballés à emporter comme souvenirs.
Rue de Mardin avec des échoppes d’artisans
La région de Mardin est aussi connue pour ses vins, tout comme la Cappadoce, et je fais une dégustation en fin de journée dans une sympathique petite cave à vin suite à la proposition de Zehra, que j’ai rencontrée dans l’après-midi et qui est professeure des écoles dans une petite ville à proximité. Le gérant est très aimable et il nous fait découvrir des vins locaux: tout d’abord un rosé, puis un blanc et ensuite quelques vins rouges qui ont des goûts différents (certains plus taniques, d’autres plus fruités). Je cède à la tentation en achetant une bouteille d’un vin rouge qui a ravi mon palais et j’achète aussi un fromage qui est une sorte de Gouda au cumin, cet assortiment de vin et fromage me rappellera mon bon pays !
Ensuite, nous montons sur les hauteurs de la ville pour savourer ce repas en admirant les édifices éclairés par des lumières chaudes et tout en écoutant des chansons de rock turc diffusées par des terrasses de café et qui me sont désormais familières . La ville sublime de Mardin méritait clairement un petit détour dans mon itinéraire : merci Sergül !
Nouveau coucher de soleil sur Mardin
Début du jour 40 (26/10/2022)
Pour ce jour, je me lève tôt car j’ai un long trajet en bus afin de rejoindre la ville de Tatvan au bord du lac de Van. Le propriétaire de mon logement n’étant pas disponible il m’avait indiqué un café où déposer les clés mais il n’est pas encore ouvert à cette heure. Finalement, je décide de donner la clé à un commerçant âgé qui se trouve juste en face du café et je comprends à son geste de la main sur le cœur et de l’expression de son noble visage que je peux lui faire confiance, c’est une question d’honneur et ce sera en effet le cas.
Je pars en fin de matinée du village de Karadut pour rejoindre la ville de Diyarbakir qui est à environ cent cinquante kilomètres. Murat, le propriétaire de l’hôtel, me ramène avec sa voiture sur la route principale afin que je puisse prendre un premier bus qui m’amènera dans une plus grande ville qui a une connexion vers Diyarbakir. C’est dimanche donc il y a moins de fréquence de passages mais j’arrive à rentrer dans un bus bondé en un peu moins d’une heure d’attente. Ensuite, c’est plus facile pour trouver un bus qui rejoint Diyarbakir et le chauffeur parle même français car il a de la famille à Paris et il y a également habité quelques années.
Les temps d’attente entre les correspondances me font prendre conscience du grand nombre de jeunes garçons et adolescents qui travaillent dans des petites boutiques ou des restaurants avec leur parents, notamment le week-end quand il n’y a pas école.
Nous aurons deux contrôles de gendarmes sur le trajet mais ils se passent assez rapidement, le paysage est plat avec des terres arides et rocailleuses.
Après avoir été déposé en périphérie de la ville j’ai un peu de mal à trouver un dolmuş donc finalement je décide de me rendre à pied à l’appartement étant donné que je suis arrivé tôt dans l’après-midi. Je traverse des quartiers de tours en béton qui me sont désormais familières mais toujours aussi peu attrayantes. En ce dimanche, les hommes se retrouvent en terrasse pour discuter autour d’un thé ou d’un café, fumer des cigarettes et éventuellement jouer aux cartes ou d’autres jeux.
Mon nouvel hôte Airbnb m’accueille à son appartement, il s’appelle Hakan, il a vingt-deux ans et il fait des études de médecine qui lui prennent beaucoup de temps et d’énergie. Il fréquente également assidument les salles de sport tout en suivant un régime essentiellement à base de viande de poulet qu’il ingurgite quatre fois par jours. Pour moi ce sera plutôt des pâtes ce soir car cela fait longtemps et c’est toujours un plaisir ! Avant ce régal culinaire, je profite de l’après-midi pour découvrir le centre-ville de Diyarbakir dont les anciens monuments ont la particularité d’avoir des pierres sombres. Le centre est ceinturé d’épaisses et hautes murailles qui sont encore en bon état et, comme dans la ville de Bursa, il y a d’anciennes petites cours intérieures ceinturées par des arcades à colonnes que l’on accède via des passages couverts et qui servent désormais de terrasses pour les cafés avec quelques boutiques sur les côtés.
Une ancienne auberge pour les commerçants voyageurs reconvertie en terrasse de café (Sülüklü Han)
Il y a également un petit bazar qui vend essentiellement des vêtements. Comme dans les quartiers périphériques, il y a beaucoup de gens (des hommes principalement) qui sont assis sur des petits tabourets et qui prennent le café sur des grandes places piétonnes.
Entrée de la grande mosquée de Diyarbakir avec les nombreux groupes d’hommes attablés devant un café
Désormais, je prévois de passer au moins deux nuits à chacune de mes étapes afin d’avoir le temps de visiter les lieux et de prévoir la suite du voyage tout en ayant des moments de pause. Ainsi, je rentre à l’appartement pour mettre à jour mon blog et passer quelques coups de fils. Hakan est parti au sport donc je dîne seul mais nous nous revoyons à son retour et nous prenons le temps de discuter de nos vies et de nos projets futurs en utilisant Google traduction puis nous allons nous coucher.
Mon hôte Hakan et moi-même
Jour 37 (23/10/2022)
La matinée est consacrée au blog et à la préparation de la suite du voyage puis je pars me balader en ville en fin de matinée. Je revisite la grande mosquée, les anciennes cours et, en suivant un petit groupe de touristes, je découvre par hasard une grande et belle église arménienne qui a été récemment entièrement rénovée après avoir subi de lourds dommages dans le passé à cause de conflits ou d’événements climatiques. Il s’agit de l’église de Saint Giragos, elle date du seizième siècle et c’est apparemment une des plus grandes églises arméniennes du Moyen Orient.
Eglise arménienne Saint Giragos
Ensuite, je me dirige à pied vers le fleuve Tigre (appelé Dicle en turc) où se trouve, à proximité de la ville, un pont qui date du onzième siècle et qui fut construit sous une dynastie Kurde régnant sur la région à cette époque. Il y a de jolies terrasses de café aménagées des deux côtés du fleuve avec de confortables coussins sur des tapis qui permettent d’admirer la vue à l’ombre des arbres tout en buvant un thé. C’est un lieu très apaisant.
Le pont Ongözlü qui enjambe le fleuve Tigre
Puis, je rentre à l’appartement en repassant par le centre-ville une dernière fois. Hakan rentre encore tard donc nous dînons à nouveau séparément mais nous partageons un thé à son retour. Notre différence d’âge ne nous gêne pas pour discuter naturellement et en toute franchise. Nous partageons des points communs sur notre vision de la vie et nous continuons de discuter de nos différents projets personnels et professionnels en nous encourageant mutuellement.
Le lendemain matin, Hakan m’aidera gentiment à trouver le bon dolmuş pour m’emmener à la station de bus afin de rejoindre ma prochaine destination.
Nous repassons à nouveau au-dessus de l’Euphrate qui est à cet endroit un grand fleuve sinueux creusant de larges gorges vertigineuses au milieu de montagnes, cela me rappelle le paysage impressionnant des gorges des Portes de Fer entre la Serbie et la Roumanie.
Les montagnes autour sont quasiment sans végétation, c’est un décor de rochers et de terres arides sur lesquelles des troupeaux de moutons tentent d’arracher quelques brindilles d’herbes.
Je descends du minibus à un petit village situé sur la route qui relie les principales villes de la région suivant les indications du propriétaire de l’hôtel dans lequel je vais séjourner pour deux nuits. C’est lui qui vient me chercher en voiture pour faire les dix derniers kilomètres permettant d’atteindre le village de Karadut, situé à deux mille deux cents mètres d’altitude. Il y a dans cette région de Turquie une proportion importante de personnes issues de la minorité kurde et ils me le font souvent remarquer eux-mêmes.
Nous sommes entourés par les montagnes dans le village de Karadut et il y a de la verdure le long de la route avec des arbres fruitiers et des vergers. Il y a peu de touristes à l’hôtel en cette saison : un couple d’anglophones avec leur guide et deux cyclistes qui se sont rencontrés lors de leur voyage à vélo et qui ont décidé de faire une partie de leur itinéraire ensemble. L’un est parti de Belgique et l’autre d’Angleterre, ils comptent aller jusqu’en Géorgie ou peut-être en Azerbaïdjan. Je suis impressionné par le chemin qu’ils ont déjà parcouru, surtout après avoir vu la pente de la route de montagne pour venir jusqu’ici. De mon côté, pour demain, je compte monter au sommet à pied avec quatorze kilomètres et sept cent mètres de dénivelé positif et redescendre en stop après le coucher de soleil, ce sera mon défi de la journée.
Le village de Karadut où se trouve mon hôtel
Jour 35 (22/10/2022)
Après un copieux petit déjeuner kurde, je me lance dans l’ascension à pied du mont Nemrut qui culmine à deux mille deux cent mètres. N’ayant qu’un seul sac à dos qui est trop grand pour cette randonnée, je me sers de mon ancien sac de protection de casque de moto que j’utilise comme d’une besace depuis que je voyage en Turquie. Cela me permet de garder le strict nécessaire avec moi dans le bus et de laisser mon gros sac dans la soute. Je le porte en bandoulière et j’entoure les cordons avec ma polaire afin de ne pas me faire scier les épaules. Ce n’est pas très esthétique mais ça fonctionne plutôt bien à mon goût. C’est aussi la première fois du voyage que j’utilise mes bâtons de marche et ils me seront bien utiles, heureusement pour eux car ils figuraient sur la liste des équipements en sursis dans le but de m’alléger.
Il n’y a pas de chemin de randonnée donc je marche sur la route mais elle est très peu fréquentée à cette heure donc ce n’est pas gênant. De plus, la vue est bien dégagée ce qui permet d’observer les montagnes tout en marchant.
Vue sur les montagnes arides depuis la route de randonnée
J’arrive à l’entrée du parc après environ deux heures et demi de marche. Il y a une cafétaria avec une belle vue panoramique dont je profite pour faire une pause déjeuner et lecture avant d’acheter un billet d’entrée car je suis en avance pour le coucher du soleil. Il me reste ensuite deux kilomètres à parcourir à pied avant d’arriver au pied du site qui est un immense tumulus construit en l’honneur d’un roi grecque issue de la dynastie d’un ancien général d’Alexandre le Grand au premier siècle avant Jésus Christ. A l’est et à l’ouest sont disposées des statues de dieux, du roi et de créatures mythologiques sur des plateformes situées au bas du tumulus. Les sculptures sont grandes et encore en bon état donc on peut bien distinguer les traits de chacun des personnages mais c’est surtout le lieu où elles se trouvent, au sommet d’une montagne qui domine les alentours, qui en fait un lieu unique.
C’est un site très connu également pour le spectacle du lever et du coucher du soleil avec les rayons du soleil qui illuminent les statues et, en effet, il y aura une nuée impressionnante de touristes principalement turcs qui arriveront en bus au moment du coucher du soleil. Finalement, j’ai préféré la visite du site environ une heure avant le coucher du soleil car la lumière était très belle et il y avait peu de monde.
Nemrut Dağı côté ouest
Je reste quand même pour profiter du spectacle du coucher du soleil à cette altitude qui est très beau même sans les statues puis je me dépêche d’aller au parking pour essayer de trouver des automobilistes qui pourraient me ramener.
Cette fois-ci j’aborde directement les passagers au moment où ils rentrent dans leur voiture plutôt que d’attendre sur la route en levant le pouce car cela me permet de plus facilement me présenter. J’essuie quelques refus polis et je me rends compte que la plupart des voitures ne passent pas par le village de mon hôtel car il y a une autre route plus fréquentée qui donne accès plus rapidement à des grandes villes où se trouvent les hôtels. C’est le cas d’un policier en civil et de sa femme mais celui-ci me propose d’aller demander à ses collègues en service sur le site. Je suis un peu perplexe car je doute qu’ils acceptent de prendre une personne en stop et ils vont effectivement refuser. Il fait désormais nuit et il y a de plus en plus de voitures qui partent donc finalement je propose au policier de me déposer à la prochaine intersection qui me fera déjà gagner quatre kilomètres puis je verrai pour la suite. Il accepte et, au moment où il me dépose et que j’allume ma lampe frontale, une voiture passe dans la bonne direction. Je leur fais de larges signes et la voiture s’arrête. Je leur fais comprendre que je fais du stop mais ils ont l’air de me dire que ce n’est pas possible et en effet je remarque que toutes les places passagers sont déjà occupées. Néanmoins les passagers à l’arrière ouvrent la porte et me font signe de monter en se serrant. Je suis un peu gêné mais de l’autre côté je ne suis pas très motivé pour faire la descente à pied dans la nuit donc je finis par monter en les remerciant chaleureusement.
J’arrive juste à temps pour prendre une bonne douche avant le dîner à l’hôtel puis je rentre dans ma chambre pour avancer sur mon blog et préparer la suite du voyage.
Le voyage en bus après avoir quitté Adana pour rejoindre la ville de Şanlıurfa est un peu long avec les trois cent soixante kilomètres à parcourir, j’ai préféré limiter les étapes en ne m’arrêtant pas à Gaziantep car il me reste encore beaucoup de route à faire. Nous arrivons en fin de journée, peu de temps après avoir traversé le fleuve Euphrate donc nous entrons dans l’ancienne région historique de la Mésopotamie.
La ville de Şanlıurfa est proche de la Syrie et on peut constater un changement d’architecture par rapport aux précédentes villes de Turquie que j’ai visitées avec des anciennes maisons en pierre blanche qui forment d’étroites ruelles sinueuses et un château sur les hauteurs d’une colline. J’ai l’impression d’être au Moyen Orient d’après les images que j’en ai, notamment de la ville de Jérusalem.
Ruelle du centre-ville de Şanlıurfa
Le ciel s’est couché, les éclairages de couleur chaude pour les rues et vertes pour les minarets des mosquées mettent en valeur les beaux édifices en pierre de cette ville. Les muézins chantent l’appel à la prière, ce qui renforce mon sentiment d’être en Orient. On peut se déplacer facilement à pied dans les ruelles du vieux centre-ville et on pourrait presque se perdre dans ce dédale lorsque l’on s’éloigne des voies principales.
Puis, mon cheminement me fait accéder au bassin de poissons qui a fait en partie la renommée de la ville. Selon la légende, Abraham aurait été jeté dans des braises qui se seraient transformées en un bassin rempli de poissons et dont ces derniers auraient des pouvoirs de guérison. Quelle que soit la vérité, le bassin et l’édifice autour avec des arches et des cours sous formes de cloîtres sont très agréables à visiter. Ensuite, je monte sur les hauteurs de la ville à proximité du fort pour apprécier la vue sur l’ensemble de la vieille cité. Il y a encore plusieurs groupes de touristes qui se promènent, principalement des turcs.
Il est temps que je rentre dans ma chambre que j’ai à nouveau louée via Airbnb mais, cette fois-ci, je sens que mon hôte a peu de disponibilité même s’il a eu l’amabilité de m’indiquer comment me rendre au site néolithique de Göbekli Tepe qui date de plus de dix millénaires !
Début du jour 34 (21/10/2022)
Je me lève tôt le matin pour me balader à nouveau dans le vieux centre-ville de Şanlıurfa avec la lumière du soleil cette fois. Le spectacle est toujours aussi saisissant, j’ai l’impression d’être transporté mille ans en arrière dans l’Orient historique.
Mosquée avec un cimetière dans le centre historique de la ville
Le célèbre bassin aux poissons
Puis, je prends un bus qui m’emmène sur un des plus anciens sites de l’humanité qui a été découvert jusqu’à présent (entre le dixième et le neuvième millénaires avant Jésus Christ). Il n’y a pas de certitude exacte sur la nature de ce site mais il semble que c’était un lieu de réunions des différentes tribus nomades de la région pour célébrer leurs dieux à des périodes importantes de l’année. Il est situé sur une moyenne montagne qui domine les plaines environnantes donc facilement repérable pour les visiteurs qui viennent de loin. Malgré son ancienneté, on peut observer assez nettement des édifices relativement élaborés pour l’époque avec des murs de pierres taillées plus ou moins grossièrement et empilées les unes sur les autres pour créer des salles ou des couloirs qui ont la forme d’une coquille d’escargots. Il y a encore également quelques larges piliers qui tiennent debout et sur certaines pierres on peut voir des sculptures d’animaux. C’est très impressionnant.
Le site de Göbekli Tepe
D’après les explications du musée sur place, la Mésopotamie qui était située entre les fleuves du Tigre et de l’Euphrate et plus largement la zone du Croissant Fertile ont bénéficié du réchauffement climatique lors de la fin de l’ère glaciaire combinée à des sols fertiles pour permettre progressivement les débuts de l’agriculture et donc de la sédentarisation pendant l’époque du Néolithique. Il y a même une hypothèse émise qui est que l’organisation de célébrations religieuses avec un grand nombre de participants sur ce type de site aurait pu finalement inciter l’Homme à faire des provisions et donc à mieux maitriser la récolte et le stockage de nourriture qui aurait peut-être amené progressivement à l’agriculture.
Sur le chemin du retour vers Şanlıurfa, je remarque d’ailleurs qu’il y a beaucoup de champs de culture dans les plaines, notamment du maïs mais aussi du coton.
Je récupère mon sac à dos dans ma chambre et je pars à la station de bus pour me diriger dans les montagnes afin de visiter le célèbre monument funéraire avec ses statues majestueuses datant de l’Antiquité au sommet de la montagne Nemrut.
Comme à chaque fois, les turcs à qui je m’adresse pour trouver mon chemin et la bonne ligne de bus se rendent disponibles pour m’aider, ils sont très serviables et la grande fréquence des bus fait que finalement j’attends peu entre chaque correspondance.
Après un nouveau petit-déjeuner complet à l’auberge de Gorëme, je prends un bus pour la ville de Adana, située dans le sud de la Turquie à l’extrémité est de la côte méditerranéenne turque et réputée pour son kebap du même nom. Après avoir traversé de belles montagnes, nous arrivons dans la plaine de Adana et le thermomètre affiche trente degrés alors que nous sommes à la mi-octobre !
Pour la première fois du voyage je prends un Dolmuş qui est un minibus servant de transport en commun, il y en a beaucoup dans les villes et même à la campagne. Les destinations principales sont affichées sur un panneau mais c’est difficile pour moi de me repérer dans une ville que je ne connais pas donc je demande aux passants autour de moi et j’essaye également de me placer sur une route qui va dans la bonne direction afin d’augmenter mes chances. Puis, j’indique au chauffeur quelques noms de parcs ou de bâtiments que je trouve à proximité de l’endroit où je souhaite aller en espérant que son visage s’illumine et qu’il me dise de monter, c’est assez souvent le cas ou alors il m’indique la route sur laquelle je dois me placer et le numéro de la ligne de Dolmuş à prendre.
Comme à Eskisehir, j’ai réservé une chambre dans un appartement via Airbnb et mon hôtesse Sergül m’accueille avec un thé pour faire connaissances après m’avoir présenté le logement. Il est très bien aménagé et moderne avec un salon spacieux qui dispose d’un confortable canapé, je sens que je vais m’y plaire. Sergül m’interroge sur mon programme et me propose gentiment des bonnes adresses de restaurants, cafés et monuments à visiter. Je la laisse ensuite continuer sa journée de télétravail car je suis arrivé tôt et je pars découvrir la ville.
L’appartement est bien situé dans le centre donc je peux tout faire à pied. Les immeubles à proximité sont récents et sans grand intérêt architectural mais c’est un quartier dynamique, il y a de nombreux commerces et restaurants. Ensuite, je rejoins un grand parc qui longe une rivière et qui aboutit sur une grande mosquée que je visite. Puis je continue de longer la rivière pour accéder à un ancien pont en pierre qui date de l’empire romain et qui est désormais entièrement piéton (photo de couverture). Le soleil se couche progressivement et projette de beaux rayons jaunes orangés qui brillent sur la grande mosquée et le pont. Je profite des dernières lueurs du jour pour visiter le vieux centre-ville qui est tout proche avec notamment une ancienne tour horloge pointant vers le ciel désormais en feu, c’est magnifique.
Coucher de soleil dans le quartier historique de Adana
Adana kebap au complet
De retour à l’appartement, je retrouve Sergül qui termine sa journée de travail. Nous discutons et je lui parle de mon projet de voyage et de ce que j’ai fait auparavant en Turquie. Quand j’évoque les concerts de rock turc qui m’ont bien plu, elle m’indique que son ami du lycée est chanteur de rock et que son groupe va jouer justement ce soir. Décidément mon rythme de voyageur est décalé, mes week-ends sont plutôt tranquilles et c’est maintenant les lundi et mardi que je sors le plus !
C’est ainsi que nous rejoignons le groupe d’amis de Sergül dans le bar où se joue le concert qui a déjà commencé, nous sommes installés à une table face à la scène et le chanteur nous accueille tout en continuant sa chanson. Je retrouve les ambiances survoltées de Kadiköy et Eskişehir avec cette jeunesse turque qui a soif d’une vie joyeuse, on sent une vraie union que les chansons parviennent à créer. Comme d’habitude dans ces circonstances, les verres de bière se succèdent et les cendriers se remplissent, j’ai du mal à me faire comprendre avec ce bruit mais peu importe, les regards et les sourires suffisent à communiquer.
Rock in Adana! (désolé pour la qualité de la photo, je n’ai pas mieux)
Après la fin du concert, nous nous retrouvons avec les amis de Sergül à son appartement pour continuer la soirée. On écoute des chansons turques et des chansons françaises où Zaz et Charles Aznavour ont la cote. Je les connais depuis à peine quelques heures et ils sont déjà comme des amis, ils m’intègrent naturellement dans leur groupe, c’est très sympathique. Je finis par aller me coucher tard dans la nuit, content de ces belles rencontres et je me dis que je resterais bien trois nuits au lieu des deux initialement prévues.
Jour 31 (18/10/2022)
Le réveil au matin est un peu difficile, je commence à avoir un début de rhume sans doute à cause des changements de température avec les nuits fraiches mais surtout à cause de l’alcool et de la fumée, tant pis, je ne regrette pas.
Sergül est réveillée également, elle est assez flexible avec son emploi du temps donc elle peut adapter ses journées en fonction de ses activités. Pour ma part, je vais visiter le musée d’archéologie d’Adana sur les conseils de Sergül et c’est en effet très intéressant. Cela permet d’avoir un rappel chronologique de l’évolution de l’humanité et des nombreuses civilisations qui ont peuplé cette région située dans le croissant fertile de la Mésopotamie qui est riche en Histoire. Voici ma compréhension d’après ma visite du musée : tout d’abord il y a eu les tribus nomades de chasseurs cueilleurs du Paléolithique puis les humains ont progressivement commencé à se sédentariser pendant le Néolithique pour pratiquer la culture et l’élevage à leur dépens d’après le célèbre livre « Sapiens : Une brève histoire de l’humanité » de Yuval Noah Harari. Puis il y a eu la première grande civilisation des hittites qui ont dominé la région et qui maitrisaient l’écriture, notamment sur des petites tablettes d’argile qui m’ont fortement impressionné par leur finesse et leur ancienneté. Ensuite, sont venus les assyriens, puis les armées d’Alexandre le Grand et ses successeurs qui se sont divisés en multiple royaumes rivaux. Les romains ont remis de l’ordre et de l’unité que les byzantins ont cherché à préserver mais ils ont été mis à mal par les raids arabes et les ambitions des croisés. Plus tard les mameluks prirent le contrôle de la région et ils furent remplacés par les ottomans pour plusieurs siècles jusqu’à la dislocation de leur empire après la première guerre mondiale et la création de la république de Turquie. Dans le musée, il y a également une large collection d’objets qui permettent de voir l’évolution technique et sociétale de l’humanité en commençant par des outils sommaires puis des tablettes d’écriture en argile des hittites, ensuite des sculptures représentant des dieux pour décorer des monuments funéraires et, plus tard, des sculptures grecques et romaines représentant des humains, des pièces de monnaie, des armes, des bijoux, des poteries et, enfin, de grandes mosaïques recouvrant le sol d’une large pièce du musée que l’on peut observer d’une plateforme en hauteur.
Tablettes d’écriture hittites
Cela m’a permis de me plonger dans l’Histoire de cette région et de la Turquie qui a été au carrefour de nombreuses civilisations, c’est très intéressant.
Après la visite, je rentre à l’appartement pour me reposer et ensuite je continue la mise à jour de mon blog. Sergül me rejoint au salon pour travailler tout en discutant ensemble, généralement elle travaille le soir pour avoir du temps libre en journée. De mon côté je retrouve en début de soirée une de ses amies avec qui j’avais sympathisé la veille pour prendre un verre en ville (sans alcool car on a eu notre dose) et puis nous balader dans Adana. En fin de soirée, nous rejoignons Sergül pour partager un dernier verre avant d’aller nous coucher.
Jour 32 (19/10/2022)
Cela fait un mois que je suis parti le lundi 19 septembre de Meaux, j’ai déjà fait un long parcours depuis et je suis content d’avoir pu suivre mon plan initial dans les grandes lignes mais il reste encore beaucoup à faire ! Même si j’ai parfois connu des moments de doutes et d’ennui, globalement je n’ai pas vu le temps passé, j’ai découvert des paysages et des villes magnifiques et surtout j’ai fait de belles rencontres.
Pour cette journée je n’ai pas prévu grand-chose, je pensais aller à la mer mais visiblement la côte à proximité n’est pas très intéressante donc je reviendrai une autre fois pour aller du côté de Antalya que tout le monde m’a recommandé. Donc le matin, je travaille sur mon blog car j’ai toujours du retard à rattraper puis l’après-midi je prends un Dolmuş afin de me balader au bord d’un grand lac situé à une dizaine de kilomètres du centre-ville. La vue n’est pas extraordinaire mais cela permet de prendre l’air au calme et on peut apercevoir au loin les montagnes.
Vue sur le lac près de Adana et au loin les montagnes
Puis, je retourne à l’appartement et Sergül me propose de regarder le film danois « Drunk » que je lui avais recommandé et que je recommande d’ailleurs à tous. Nous commentons certaines scènes du film et c’est l’occasion de se confier pour en apprendre davantage l’un sur l’autre en toute confiance. Puis je retourne me balader en ville avec l’amie de Sergül avant de tous nous retrouver pour un nouveau concert de leur ami chanteur. Cela se passe dans un autre bar qui dispose d’une salle de concert en sous-sol qui est plus aérée que la dernière fois. Les chansons sont toujours aussi vibrantes et émouvantes et le public est conquis, il reprend en cœur de nombreuses chansons. Je savoure ce moment sans penser à la suite, je me sens bien avec Sergül et ses amis, on a commencé à tisser des liens d’amitié.
Cette fois-ci, il n’y aura pas de seconde soirée après le concert, chacun rentre chez soi et nous nous serons dans les bras pour nous souhaiter de belles choses pour la suite.
Sergül à ma gauche et tous ses amis autour, dont les musiciens
Avant de rentrer, Sergül me propose de découvrir un autre plat populaire d’Adana appelé Şirdan qui est habituellement pris en fin de soirée et qui a une forme très particulière comme vous pouvez le vérifier sur internet. C’est en fait de l’intestin qui est garni avec du riz, de la viande et des épices, c’est plutôt bon, comme quoi il ne faut pas se fier aux apparences !
Şirdan, miam miam!
Début du jour 33 (20/10/2022)
Ça y est, c’est le jour du départ, je ressens une certaine nostalgie en faisant nos adieux avec Sergül comme lorsque j’avais quitté Özlem à Istanbul. Même si on ne se connaissait que depuis trois jours on s’entendait bien et on commençait à créer des liens tout comme avec ses amis. Mais je souhaitais avancer dans mon voyage car j’avais encore beaucoup de route à faire et de pays à franchir, j’espère que l’on aura l’occasion de se revoir !
Le trajet en bus se passe bien, c’est confortable et j’arrive à écrire pour mon blog car il y a peu de virages. J’arrive à Gorëme en Cappadoce en fin de journée juste à temps pour déposer mon sac dans ma nouvelle auberge de jeunesse et monter au point de vue de la ville pour observer le coucher de soleil et les alentours.
Les souvenirs de mon précédent voyage dans cette région avec Vincent me reviennent mais j’ai l’impression qu’il y a davantage d’hôtels et de restaurants, par ailleurs je suis surpris par le bruit des moteurs qui gâche un peu le décor féérique de ce lieu. En effet, au coucher du soleil il y a des légions de quads pour accéder à des points de vue différents et difficiles d’accès en voiture, il y a également encore des travaux de construction à cette heure donc un peu trop de nuisance sonore à mon goût. Je commence à me demander si cette ville qui m’avait tant émerveillé quand j’étais plus jeune ne serait pas devenue un nouveau Disneyland ou un Las Vegas de la Cappadoce.
En revenant dans le dortoir, je fais la connaissance d’un jeune couple de français qui sont là pour quelques jours comme moi. Nous partageons ensemble notre embarras par rapport à ces effets négatifs du tourisme de masse même si je dois préciser qu’il y a quand même des points positifs tels que les habitations qui respectent une certaine unité d’architecture et de couleurs qui s’insèrent très bien dans l’environnement naturel, la lumière des éclairages la nuit est douce et met en valeur les habitations et, fort heureusement, il n’y a pas beaucoup de bruit une fois que la nuit s’installe car la plupart des gens se lèvent tôt pour faire un tour en montgolfière ou les admirer au lever du soleil. Dans ce but, je recherche sur internet des endroits isolés de la foule où l’on peut avoir un beau point de vue sur ce spectacle matinal et je me couche tôt après avoir testé le kebap local dont la viande est cuite dans une poterie (appelé « Testi kebabi »).
Jour 28 (15/10/2022)
Mon réveil sonne à six heures pour que je puisse avoir suffisamment de temps pour atteindre un endroit plus éloigné de la ville. Il fait encore nuit mais je ne suis pas le seul à être debout, de nombreuses personnes se font emmener en voiture pour aller aux différents points de vue ou rejoindre la zone de décollage des montgolfières. Il y en a quasiment une centaine qui décollent dans un intervalle de temps très court au lever du jour et ce spectacle quotidien est devenu presque aussi attractif que le décor naturel de la Cappadoce. Lors de mon précédent voyage dans cette région, il y avait déjà des vols en montgolfières qui étaient organisés mais je ne pense pas qu’il y en avait autant car ce n’était pas dans le Guide du Routard de l’époque 😊
Donc je quitte les lumières de la ville assez rapidement et je rejoins un léger plateau en hauteur en direction de la vallée de l’Amour. Le jour commence à se lever progressivement et j’aperçois au loin quelques enveloppes de montgolfière qui scintillent et se gonflent avec l’air chaud créé par les brûleurs que l’on entend en continu. Je tente un raccourci pour me rapprocher plus rapidement de la vallée quand un chien m’aperçoit et se met à aboyer bruyamment tout en courant dans ma direction. Je ne cherche pas à l’amadouer et je m’enfuis prestement pour retrouver le chemin initial. Je finis par trouver un point de vue assez intéressant où il y a déjà quelques voitures et même deux tentes donc je m’arrête pour voir le spectacle. Une nuée de montgolfières commence à s’élever dans le ciel lorsqu’une armada de 4 × 4 arrive remplie de touristes. Je préfère continuer mon chemin pour être plus au calme et j’arrive cette fois-ci à mieux repérer les itinéraires possibles pour couper plus rapidement vers la vallée de l’Amour. Par chance, le vent pousse plusieurs montgolfières dans cette direction donc je continue d’assister à ce spectacle au milieu des cheminées de fées de la Cappadoce, c’est vraiment un autre monde. Les pilotes sont très doués et certains arrivent à se rapprocher au plus près des cheminées ou des falaises en les frôlant pour le plus grand bonheur des passagers à bord.
Des chiens viennent à nouveau vers moi en aboyant mais une fois arrivés à proximité ils s’arrêtent et je peux continuer mon chemin en restant vigilant. Je suis tout seul dans la vallée pour mon plus grand plaisir, les touristes se sont massés sur les hauteurs et je me sens très bien dans ce décor naturel dont les formes lisses et variées semblent avoir été sculptées par des milliers d’artisans.
Vallée de l’Amour
Le chemin me ramène sur la hauteur du plateau d’où je rejoins la ville de Uçhisar pour visiter son château qui permet d’avoir une vue sur l’ensemble des vallées autour. Puis je redescends vers Gorëme en traversant la vallée des Pigeons qui est très jolie aussi. Je croise en sens inverse des coureurs de trail qui participent à l’Ultra Trail Cappadocia, une course à pied impressionnante de 120 km de long avec 3700 mètres de dénivelé positif. Le parcours traverse toutes les vallées du parc naturel autour de Gorëme donc je vais les revoir dans la journée.
Vallée des Pigeons
Pour ma part, je rejoins mon auberge vers 9h30 afin de déguster le copieux petit déjeuner qui y est servi et je fais une petite sieste avant de repartir pour une balade car cette découverte matinale m’a permis de retrouver les belles images que j’avais gardé de cette région et je souhaite à présent en profiter au maximum.
Après une petite sieste digestive, je repars en fin de matinée en direction des vallées Rose et Rouge qui sont les plus grandes mais aussi les plus belles de la Cappadoce. La marche d’approche en partant de Gorëme à pied est assez longue et peu agréable en longeant une route fréquentée mais c’est ensuite très pratique de pouvoir se déplacer dans les vallées à pied. On y avait été avant en vélo avec Vincent mais on ne pouvait pas accéder à tous les endroits même si c’était pratique pour se rendre dans les vallées plus facilement.
Je croise à nouveaux les coureurs de trail qui sont concentrés sur leurs efforts en continue et je commence à en voir certains qui faiblissent, ce qui ne m’étonne pas au vu de la difficulté du parcours. Après quelques détours je finis par trouver l’accès à la vallée Rouge et je chemine tranquillement dans ces petits canyons aux couloirs étroits et sinueux qui font découvrir à chaque virage de nouvelles formes de roches, des tunnels naturels ou des anciens refuges pour pigeons, des habitations ou, encore mieux, des églises creusées dans la roche. Alors, je me prends pour Indiana Jones et je tente d’accéder à ces sites troglodytiques qui datent de plusieurs siècles en escaladant de petites parois, en me recroquevillant pour passer à travers un passage étroit et parfois même en utilisant une lampe quand la luminosité est trop faible. C’est très excitant ce mode de découverte progressive, on ne sait jamais si on va tomber sur une simple pièce ou s’il y aura un accès vers d’autres pièces plus spacieuses et plus élaborées avec parfois des restes de peinture ou des sculptures. Cela fait travailler l’imagination et l’effet de surprise est décuplé, je me sens comme un enfant qui découvre ses nouveaux jouets.
PigeonniersChemin d’accès aux vallées Rose et Rouge
Je ne fais quasiment pas de pause car ma curiosité pour ses lieux me pousse à avancer toujours plus loin, à emprunter chaque passage qui se présente à moi quitte à revenir ensuite sur mes pas. Il n’y a pas vraiment de carte détaillée de ces vallées ni de signalisation très précise donc on s’en remet à son instinct. Ce qui est également très appréciable, c’est que l’on peut accéder à toute heure à ces vallées et il n’y a pas de billet d’entrée donc on peut se déplacer en toute liberté. Il y a cependant un bémol qui est que malheureusement beaucoup trop de déchets sont jetés au sol dans ce parc naturel magnifique.
Je retrouve de très bonnes sensations en faisant cette marche, le moral est bon et je suis en admiration continue devant ce site extraordinaire. Le chemin mène sur les hauteurs des canyons qui permettent de découvrir de nouveaux enchevêtrements de roches rouges puis roses et en arrière-plan un haut plateau avec des falaises abrupts. Je découvre un passage qui permet d’accéder sur le sommet du plateau qui n’est pas très éloigné et sur lequel on peut ensuite facilement se déplacer tout en ayant une vue panoramique sur toute la Cappadoce. Puis je redescends dans la vallée Rose qui est moins fréquentée en fin de journée et dont les couleurs évoluent avec la lumière du soleil. Il y a de nombreux endroits où je me retrouve seul dans ce décor magique, cela me fait penser à l’île de Kho Phi Phi en Thaïlande que j’avais visité il y a plusieurs années et dont le centre est hyper touristique mais, dès que l’on s’éloigne à pied dans la jungle, on trouve rapidement la tranquillité dans une nature plus sauvage.
Les vallées Rose et Rouge
La vallée Rouge
Ensuite, je rejoins un café situé sur les hauteurs à l’entrée du parc pour admirer le coucher de soleil sur les vallées Rose et Rouge tout en sirotant un verre. Je ne suis plus tout seul mais cela fait plaisir de voir les gens autour de moi qui sont tout autant admiratifs devant ces lieux, des familles viennent faire un pic-nic, des amis prendre l’apéro comme pour un cinéma en plein air mais avec une toile immense en trois dimensions et de la place pour tous. Le soleil jette ses derniers rayons roses orangés sur les roches et les nuages avant de tirer sa révérence.
La vallée Rose orangée
En arrivant à l’auberge, je prends une douche puis je vais dîner en ville et je comptais ensuite avancer sur mon blog lorsque j’aperçois mon nouveau voisin de dortoir allongé sur son lit. Je l’avais déjà aperçu dans la matinée et j’avais été frappé de découvrir qu’il était aveugle alors qu’il voyageait seul. Sa posture me laissait penser qu’il ne dormait pas et qu’il se reposait simplement donc, piqué par la curiosité, je lui adressai la parole en anglais. Il tourna son visage vers moi et me répondis en anglais également ce qui nous permis d’échanger plus facilement. Il s’appelle Furcan, il est turc et il était venu pour quelques jours à Gorëme car il avait un ami de passage dans cette région et puis il avait l’habitude de voyager en jouant parfois de la flûte dans la rue. Plus tard, il comptait faire un stage de perfectionnement en anglais à Malte afin de pouvoir voyager et travailler dans des pays anglophones. Il semble à l’aise pour parler avec moi et il me propose même de me joindre à lui quand il va retrouver un ami ce soir. Cet ami en question s’appelle Pablo, il est argentin et il est dans la même auberge mais dans le second dortoir. Il fête ses trente-cinq ans le soir même et il nous propose pour l’occasion d’aller acheter des bouteilles de vin de Cappadoce dont les vignes sont très répandues dans la région puis de les boire sur la terrasse de notre auberge. Pablo est très sympathique également, on sent qu’il est très ouvert et qu’il apprécie le contact humain, il fait beaucoup de rencontres et il n’hésite pas à aborder des inconnus dans la rue pour demander des renseignements. J’avais déjà remarqué ce trait de caractère chez d’autres de ses compatriotes lors de précédents voyages, je tâcherai de m’en inspirer. Le vin de Cappadoce est un peu trop râpeux à mon goût mais peu importe, ce qui compte c’est d’être bien entouré ! Je finis par prendre congé de mes deux nouveaux amis car je souhaite me lever tôt demain pour observer le lever de soleil avec les montgolfières dans un nouvel endroit et ils seront encore là demain donc on pourra se revoir.
Jour 29 (15/10/2022)
Donc réveil encore tôt ce matin et cette fois-ci je me dirige vers l’entrée de la vallée Rose pour avoir un autre point de vue. J’entends déjà les brûleurs des montgolfières en action, je hâte donc le pas en longeant une route puis je bifurque dans une des zones de décollage des ballons. Il y a énormément de monde, des dizaines de cars, de 4 x 4, de minibus et bientôt les quads qui entrent en action. Tout le monde veut voir le spectacle et c’est vrai que cela en vaut la peine. Je continue de marcher pour éviter cette foule et j’arrive en haut d’une petite colline qui est très prisée également des tours opérateurs. Des grappes de montgolfières commencent à s’élever dans le ciel tandis que le ciel s’éclaircit petit à petit. Je décide de descendre par la pente qui rejoint la vallée Rose afin de chercher un autre endroit plus calme. Le soleil n’est toujours pas visible mais ses rayons colorent les nuages d’un orange brillant magnifique, c’est aussi beau qu’un coucher de soleil avec en plus la multitude de ballons dans le ciel. Je zigzague dans tous les sens à la recherche d’un meilleur point de vue pour accéder aux hauteurs mais sans succès, ce n’est qu’une fois que le soleil apparait que je distingue le chemin pour continuer dans la vallée Rose et le panorama est grandiose. Ce serait là qu’il faudrait venir pour une prochaine fois, certains pilotes de montgolfières arrivent à se rapprocher de très près des cheminées de fées et de rester au-dessus de la vallée pendant un long moment, les passagers doivent apprécier le spectacle.
Lever de soleil au départ de la vallée Rose
A cette heure de la journée, je ne croise personne et il n’y a pas de bruit, c’est comme si la vallée était mon jardin. Le chemin sur les hauteurs permet à la fois d’admirer la vue panoramique sur les montagnes et la plaine tout en marchant au plus près de ces sculptures naturelles de roches rose et rouge. Je nage en plein bonheur dans cette solitude paisible, c’est sans doute le paysage le plus beau et le plus impressionnant que j’ai vu depuis le début de ce voyage. Je repère un endroit près d’un arbre qui pourrait avoir un beau point de vue à la fois sur le coucher de soleil et le lever de soleil et je réfléchis à y dormir ce soir avec mon duvet pour ma dernière nuit en Cappadoce. En attendant, je continue de monter et je rejoins un chemin qui longe le bas des falaises du haut plateau sur lequel j’avais été la veille. Cela me permet de faire une boucle pour parcourir à nouveau les vallées Rose et Rouge par un autre itinéraire que je n’avais pas encore fait. Je suis encore seul sur le chemin, je trouve de nouveaux pigeonniers et des pièces creusées dans la roche mais surtout une grande église avec des voûtes et de hauts piliers que je découvre au hasard d’un passage étroit. Je ne peux contenir un cri d’exclamation devant cette surprise si admirable et inattendue de par sa taille, cela a dû représenter beaucoup de travail et de minutie pour l’accomplir.
Pigeonnier à plusieurs niveauxChemin d’accès à une église dans la rocheLa fameuse église cachée dans la roche qui m’a ébloui par sa taille et son architecture
Promis, j’en finis avec les superlatifs mais c’était sincère, après cela j’ai complètement revu mon avis sur la ville de Gorëme qui est certes très touristique avec les aspects négatifs que cela engendre mais elle est très bien située pour accéder aux vallées de la Cappadoce qui sont à mon sens uniques au monde et qui sont en accès libre avec de nombreux itinéraires qui permettent d’apprécier les lieux à sa convenance et en toute tranquillité notamment si vous y aller en début ou en fin de journée.
Je rentre enchanté de cette balade, c’est comme si je sortais d’un songe en étant rappelé à la réalité par mon estomac qui crie famine et mes jambes qui commencent à fatiguer. Le petit déjeuner de l’auberge fut une nouvelle fois copieux et je décidais ensuite de me reposer dans le dortoir puis de passer le début d’après-midi à lire et mettre à jour mon blog avec l’intention ensuite d’aller faire mon bivouac à l’endroit que j’avais repéré.
Mais le ciel se couvrait de nuages et la météo annonçait de la pluie donc j’étais en pleine hésitation quand Pablo et Furcan rentrèrent à l’auberge. Ils avaient réservé des bus pour partir en début de soirée et nous décidâmes de faire une balade ensemble dans une autre petite vallée à proximité de la ville. Furcan posait sa main sur l’une de nos épaules afin que nous puissions plus facilement le guider et il s’aidait également de sa canne pour repérer les obstacles. Pablo se proposait de décrire les paysages à Furcan pour l’aider à imaginer les lieux, cela me rappela une histoire de Patrice Franceschi, notre Mike Horn français, qui raconte dans son livre autobiographique « Avant la dernière ligne droite » un moment de sa vie où il rencontre en Espagne un jeune français aveugle qui a décidé de faire un long voyage seul et qui lui demande de décrire les rues et les passants dans les moindres détails. C’est une expérience très enrichissante et qui permet de partager avec son binôme tout en se rendant compte soi-même de certains détails auxquels on ne fait généralement pas attention.
Notre trio insolite arriva devant une église creusée dans la roche mais dont l’accès était payant. Pablo et Furcan n’ayant pas un grand budget, nous commencions à faire demi-tour quand le gardien de l’église interrogea Furcan en turc pour mieux comprendre qui nous étions et finalement il nous laissa entrer gratuitement. Pablo décrivit les peintures et l’architecture intérieure à Furcan qui s’aida également de ses mains pour mieux apprécier les reliefs et il se déplaça également dans la nef pour mieux se rendre compte des dimensions.
C’est une photo dans une autre église mais vous pouvez voir à gauche Pablo qui décrit le décor à Furcan qui est à droite
Nous continuons notre route et cette fois-ci nous nous lançons à la découverte d’une nouvelle église dont l’accès est gratuit mais difficile car il faut d’abord emprunter un chemin pentu avec des grandes marches naturelles et, surtout, il faut escalader une échelle rouillée d’environ cinq mètres de haut. Elle est heureusement inclinée donc l’effort physique est peu important en s’appuyant sur les jambes mais cela demande à Furcan d’être très attentif à ses gestes pour ne pas rater un barreau. Cela ne lui fait pas peur et il monte vaillamment avec précision en s’assurant lentement d’avoir les bonnes prises. Une fois arrivé en haut, il y a un passage étroit et bas qui nécessite de marcher accroupi sur plusieurs mètres et dans l’obscurité. Je passe en avant avec une lampe dans une main et de l’autre je tâche de protéger la tête de Furcan tandis que derrière Pablo le guide.
L’église accessible par une échelle avec Furcan en action
Cela en valait la peine car nous accédons à la pièce centrale qui devait être une petite église avec de larges ouvertures permettant d’apprécier le paysage. Nous sommes fiers d’y être parvenus ensemble et nous nous congratulons tout en décrivant la pièce à Furcan. Puis nous immortalisons l’instant par une photo et nous faisons le chemin inverse en restant vigilants et tout se passe bien.
Nous rentrons juste à temps pour que Furcan puisse prendre son bus. Nous l’accompagnons à la station et nous nous échangeons nos coordonnées pour rester en contact. Pablo retrouve de nombreuses personnes à la station de bus qu’il a rencontré à l’auberge, il a un vrai sens du contact humain. Puis nous allons prendre un kebap ensemble dans un petit restaurant où nous sympathisons avec le serveur. C’est un jeune turc de quatorze ans qui travaille déjà à cet âge, comme il y en a beaucoup en Turquie et parfois même plus tôt. Il nous parle de son rêve de devenir joueur de football professionnel mais son père souhaite qu’il travaille dans le milieu médical. Pablo et moi l’encourageons à poursuivre son rêve tout en se gardant d’autres options avec l’école même si ça ne lui plaît pas trop. Il faut savoir qu’il étudie la semaine à l’école et le week-end il travaille au restaurant donc avec les devoirs et les entrainements cela lui laisse peu de temps pour se reposer. Néanmoins il est souriant, il plaisante et on sent qu’il déborde d’énergie, je suis impressionné. Espérons qu’il puisse trouver une voie qui lui plaise !
Ensuite c’est au tour de Pablo de prendre son bus et je rentre à l’auberge pour passer des coups de fils puis me coucher. Finalement je ne ferai pas de bivouac et je ne compte pas non plus me lever aux aurores le lendemain car je suis déjà comblé des balades et des rencontres que j’ai pu faire dans cette si belle région.
Le voyage en train s’est très bien passé, c’était assez facile de réserver un billet au guichet, les sièges sont confortables, c’est moins cher que le bus et il va plus vite avec une vitesse de pointe à deux cent quarante kilomètres à l’heure donc le trajet fut rapide pour atteindre Ankara.
Une fois arrivé à la capitale, je prends le métro pour rejoindre mon auberge de jeunesse qui est située dans un quartier animé avec de nombreux magasins, restaurants et cafés. Ankara est une ville très étendue avec ses cinq millions et demi d’habitants et la grande majorité des bâtiments sont modernes. Elle a été choisie comme capitale du pays par Atatürk après la création de la république de Turquie en 1923 car elle plus éloignée des frontières, contrairement à Istanbul qui avait été occupée par les Forces de l’Entente à la fin de la première guerre mondiale.
C’est une ville qui a donc un lien fort avec l’ancien dirigeant charismatique de la Turquie et il y a un monumental mausolée qui a été édifié dans le centre de la capitale à sa mort que je prévois de visiter le lendemain car j’ai réservé deux nuits sur place afin d’avoir le temps de découvrir la ville et préparer la suite. Pour la fin de cette journée je me balade au hasard des carrefours qui se présentent à moi en essayant de trouver des parcs ou des rues piétonnes.
Puis je retourne à l’auberge où je fais la rencontre d’un voisin de dortoir qui est turc et s’appelle Ugurcan. Il loge toute la semaine dans l’auberge afin de passer des tests afin de pouvoir donner des cours de tennis. Ugurcan parle difficilement anglais donc nous échangeons grâce à Google traduction, il m’offre gentiment un jus de fruit et des parts de gâteau au chocolat tout en discutant. Etant donné qu’il a déjà dîné et qu’il doit se coucher tôt pour être en forme pour ses examens, je finis par quitter le dortoir pour chercher un restaurant dans les environs.
En franchissant la porte de l’auberge, je me fais interpeller par un résident qui est assis à une table à l’extérieur avec d’autres occupants qui me demande par curiosité qui je suis. Nous nous présentons et je finis par m’assoir avec eux pour discuter. Je ne me souviens plus des noms mais la première personne qui m’a adressé la parole est un jeune russe de vingt ans qui a tout quitter du jour au lendemain à l’annonce de la mobilisation partielle dans son pays. Ce fut un choix très difficile car cela signifiait de devoir se séparer de ses proches et de sa petite amie pour une durée indéterminée et revoir complètement ses projets personnels et professionnels avec un avenir incertain. Néanmoins, il s’estime déjà heureux d’avoir pu quitter à temps la Russie et il a au moins une piste pour demander un visa en Autriche où il a de la famille après avoir pris des cours d’allemand à Ankara et c’est la raison de sa présence dans cette ville et dans cette auberge car c’est apparemment très difficile de louer un appartement. Il y a également un jeune étudiant turc qui attend son visa pour continuer ses études en république Tchèque puis un français dénommé Jules nous rejoint. Il a quitté son travail comme moi, passé la trentaine, et il compte rejoindre en deux ans l’océan pacifique à pied, en auto-stop ou en autre moyen de transport terrestre ou maritime. Nous discutons ensemble de nos options d’itinéraires pour la suite du voyage. Visiblement notre anglais avec l’accent français est difficile à comprendre pour les turcs comme nous le fait remarquer notre jeune voisin de tablée et il n’est pas le premier ni le dernier à m’en faire la remarque. Cela me surprend car moi je comprends très bien les français qui parlent anglais 😊 Pourtant j’ai travaillé pendant une dizaine d’années dans une entreprise américaine et j’arrivais à me faire comprendre mais c’est peut-être spécifique à la Turquie, je vais essayer quand même de faire plus d’efforts.
Notre table étant placée proche de la porte d’accès à l’auberge nous rencontrons d’autres résidents avec qui nous discutons brièvement : des jeunes turcs qui sont là pour leurs études ou des procédures administratives, un jeune anglais de vingt-trois ans qui fait un long voyage et qui attend son visa pour l’Inde. Il commence à se faire tard et je n’ai toujours pas mangé contrairement aux autres donc je pars à la recherche d’un petit restaurant que je trouve facilement à proximité puis je rentre me coucher.
Rencontre de Ogurcan dans le dortoir à l’auberge
Jour 26 (12/10/2022)
Ce matin, je me rends à l’Anitkabir qui est le mausolée en l’honneur de Atatürk qui est le personnage le plus important de l’histoire moderne turque. Si vous vous rendez en Turquie vous verrez sa représentation sous toutes les formes (statues, photographies) et quasiment dans toutes les rues, tous les magasins, c’est impressionnant. Le mausolée qui a été bâti en son honneur après sa mort est donc à la hauteur de sa popularité : immense. Il est situé en plein cœur de la capitale et entouré d’un grand parc qui est ouvert au public seulement pendant la journée et gardé sous haute surveillance. Quand j’y suis allé, il y avait des cars entiers d’écoliers, également beaucoup de touristes mais aussi des militaires en uniformes. Le mausolée est situé en haut d’une colline dont on accède à pied par une large route à faible pente puis par de grandes marches d’escalier qui mène vers une immense esplanade de forme rectangulaire dont le revêtement clair devient éblouissant en réfléchissant la lumière du soleil. Le mausolée est en surplomb de cette esplanade, c’est un immense monument au toit plat soutenu par des colonnes carrées comme un temple de l’Antiquité.
Après avoir arpenté l’esplanade en long et en large pour m’imprégner des lieux, je rentre dans le mausolée où défilent avec respect les nombreux visiteurs pour lui rendre hommage et prendre une photo souvenir puis je rentre dans le musée Atatürk et de la guerre d’indépendance dont l’entrée est située sur une des longueurs de l’esplanade. Le cheminement de la visite rejoint la base inférieure du mausolée pour faire le tour du monument avant d’en ressortir par l’autre longueur.
Mustafa Kemal a reçu le nom de Atatürk (« père des turcs »). Il a commencé sa carrière en tant qu’officier militaire sous l’empire ottoman où il s’est notamment illustré lors de la première guerre mondiale en participant activement à la défense du détroit du Bosphore lors de la bataille des Dardanelles face aux armées de l’Entente. Après l’Armistice qui actait la défaite des forces de la Triple-Alliance dont l’empire ottoman était allié, il s’est opposé à l’occupation de la Turquie par les forces de l’Entente qui avait été acceptée par le sultan ottoman et a mené un front de résistance nationale pour récupérer les territoires occupés. De là ont découlé plusieurs années de conflits meurtriers principalement contre l’armée grecque étant donné que les autres pays alliés se sont progressivement retirés et ont signé plus tard de nouveaux traités de paix qui ont reconnu les territoires de la Turquie actuelle après que les armées turques aient repoussées les armées grecques des côtes méditerranéennes de l’Anatolie.
Ensuite, Atatürk s’est concentré avec son gouvernement à la création de la république de Turquie en remplacement de l’empire ottoman et il a mené de nombreuses réformes très ambitieuses dans quasiment tous les domaines qui ont profondément changé la société turque et demeurent encore à ce jour bien qu’il y ait eu depuis des ajustements en fonction des nouvelles orientations politiques des partis élus.
Le musée commence par l’exposition d’objets personnels du leader historique de la nation turque sans grand intérêt pour ma part puis on passe à la présentation de la guerre d’indépendance avec des fresques panoramiques représentant les grandes batailles ce qui permet de bien visualiser l’intensité de ces combats sur de larges fronts. Ensuite, on suit une galerie qui fait le tour de la partie basse du mausolée avec des espaces dédiés à chaque réforme afin d’expliquer leur contenu et les résultats obtenus grâce à des textes claires et synthétiques qui sont illustrés de photographies, de tableaux ou de citations. Cela permet de mieux apprécier l’ampleur des changements qui ont été mis en œuvre dans un temps très court sur le plan économique, militaire, sociétal et culturel comme pendant la période de la Révolution française qui a apparemment beaucoup inspiré le leader de la nation turque. Je trouve que ce monument reflète très bien la fierté et la reconnaissance des turcs à l’égard d’Atatürk et de ce qu’il a accompli. Je ressens dans ce lieu un sentiment puissant et émouvant de fierté patriotique mais qui est peut-être un peu trop poussée avec des chants qui sont diffusés en continue dans la galerie du musée et qui ne facilitent pas la concentration sur le contenu.
L’Anitkabir: le mausolée d’Atatürk
Après cette matinée chargée d’Histoire, je me change les idées en me promenant dans la ville puis, après avoir déjeuner, je rejoins l’auberge pour récupérer des affaires et m’installer ensuite dans un parc à proximité afin de me reposer, lire et continuer la mise à jour du blog.
Le soir, je discute un peu avec Ogulcan et d’autres résidents de l’auberge tout en profitant de la connexion wifi pour passer des coups de fil ou regarder des publications sur les réseaux sociaux de voyageurs qui sont dans des pays où je compte aller afin de prendre des renseignements. Je peux même échanger avec certains via messagerie pour avoir plus de détails sur certaines informations, ce qui est très pratique.
Jour 27 (13/10/2022)
Pendant la matinée, je profite d’avoir un peu de temps avant de prendre mon bus pour la Cappadoce pour visiter le centre historique de Ankara qui abrite d’anciennes maisons de couleur blanche qui sont bien conservées et décorées de nombreuses plantes vertes. Il y a aussi un joli petit parc avec une mosquée et vous pouvez voir sur la photo de couverture de cet article que les chiens errants y sont très heureux 🙂 De retour à l’auberge, je m’allège petit à petit en laissant le livre de Nicolas Bouvier que j’ai fini de lire et le clavier externe dont je n’ai plus besoin puis je vais à la station de bus, direction Gorëme en Cappadoce !