Aujourd’hui, je n’ai pas prévu grand-chose, je consacre ma matinée à l’écriture des articles sur le blog et à faire une lessive puis je pars à pied, en début d’après-midi, pour visiter la ville de Chabahar. La maison de Vahid est située dans une zone pavillonnaire à l’écart du centre-ville donc il me faut une bonne heure pour rejoindre le centre sous un soleil de plomb et sans grand intérêt sur la route si ce n’est un petit parc. De même pour le centre-ville, il n’y a pas de monuments anciens, pas même le bazar qui est une simple succession de galeries commerçantes et les bâtiments ne sont pas bien entretenus, sans doute par manque de moyens. Ma déambulation aléatoire me mène devant un canal asséché remplis de déchets en plastique parmi lesquels des chèvres cherchent de quoi manger donc je fais demi-tour à la vue de ce spectacle désolant. Je mesure la chance que j’ai eu de rencontrer Vahid qui m’héberge dans son agréable maison lorsque je découvre l’hôtel que j’avais repéré sur internet et qui est dans un piteux état.
Je ne cherche pas à visiter davantage, je fais quelques courses et je rentre en taxi. Vahid est déjà rentré avec un ami, on se raconte nos journées puis son ami nous cuisine un bon repas.
Ensuite, je passe des appels à mes parents et à Thomas pour une séance de dépannage informatique avec partage d’écrans digne d’un service SAV de grande qualité en essayant plusieurs solutions d’un niveau de complexité augmentant graduellement pour finir par charger des images sur mon blog WordPress via FTP en utilisant un pluggin et un logiciel spécifiques…. Je suis perdu mais je fais confiance à l’expertise de Thomas et on finit enfin par y arriver après une bonne heure de support, quel soulagement ! Il est déjà tard et demain je me lève tôt pour visiter la côte avec un guide qui m’a été conseillé par Vahid donc je lance juste le chargement de photos sur la bibliothèque virtuel de mon blog et je les disposerai plus tard dans un article.
Jour 80 (6/12/2022)
J’ai donc rendez-vous ce matin avec Imran, un guide qui habite à Chabahar et qui est originaire d’un village à proximité du poste frontière avec le Pakistan que j’espère passer le lendemain. Etant au courant de mon projet, Imran me propose de passer la nuit dans l’auberge d’un ami afin de me rapprocher de la frontière sachant qu’elle est idéalement située sur le chemin retour de notre visite. Cela me semble en effet une bonne idée donc je fais mon sac et j’envoie un message de remerciements à Vahid en m’excusant de ne pas pouvoir lui dire au revoir.
Nous nous embarquons pour un petit « road trip » avec Imran le long de la côte baloutche en nous dirigeant vers le Pakistan qui restera un grand moment de ce voyage tellement les paysages que je découvrirai seront uniques et grandioses alors que je n’avais pas beaucoup d’informations sur cette région peu touristique.
Nous faisons un premier arrêt au bord d’une haute et longue falaise surplombant une immense plage qui me fait penser à l’Australie puis la route monte légèrement en hauteur en faisant des petits virages pour arriver à un nouveau point de vue sur une nouvelle grande plage.
Puis, nous visitons un village de pécheurs avec des bateaux décorés de joyeux dessins personnalisés qui aident sans doute à égaillé le moral de l’équipage lorsqu’ils partent en mer pendant trois mois.
Ensuite, nous nous arrêtons à une petite aire en bord de route face à un désert d’où l’on peut observer légèrement au loin les « montagnes martiennes » qui était l’unique point d’intérêt dont j’avais entendu parler dans cette région avec des pics rocheux resserrés et de toutes les formes. Nous avançons un peu plus loin sur la route pour être au plus près de ces fameuses montagnes lors d’un autre arrêt et je prends le temps d’admirer ce paysage martien si différent de ce que j’ai pu voir dans mes nombreux voyages.
La route côtière nous mène vers un autre petit port de pêche qui est entouré de falaises d’où l’on peut admirer une vue panoramique sur les environs avec d’un côté le port de pêches et, de l’autre côté, des falaises abruptes surplombant une longue plage qui me fait penser à la côte normande. Sur ce plateau rocheux sans arbres, il y a quelques groupes d’iraniens qui prennent un picnic sans même un chapeau ou un parasol. Cela me rappelle en rentrant de la visite du site de Persépolis lorsque nous avions croisé sur la route plusieurs groupes d’iraniens qui s’étaient garés en plein désert au bord de falaises et avaient installé leur tapis pour faire un picnic sous un soleil de plomb. Zon, le russe qui était avec nous, avait demandé à notre guide qu’est-ce qu’ils faisaient là et, lorsque le guide avait répondu “picnic”, son regard avait eu une expression de total incompréhension sur le choix de l’emplacement alors qu’il n’y avait pas une seule ombre sous laquelle s’abriter. Ils sont fous ces iraniens ! 😉
Nous faisons une petite pause sandwich avec Imran puis nous reprenons la route et là, je prends une nouvelle claque visuelle en nous enfonçant dans les terres vers le nord. La route passe au milieu d’une immense barrière de falaises et de pics rocheux dont une partie compacte me fait penser à une cathédrale avec des parois abruptes surplombant un premier niveau de lacets rocheux dont l’ensemble suit une pente droite qui semble avoir été tracé à la règle. Je suis époustouflé par cette vue et nous prenons notre temps avec Imran pour l’admirer en nous arrêtant au bord de la route.
Puis, nous traversons cette barrière naturelle avec de la musique baloutche entrainante, le temps semble suspendu et je profite de ce moment en repensant à ces paysages grandioses que je viens de découvrir dans la journée.
Nous traversons quelques petits villages où les tenues baloutches sont la norme et les habitations sont souvent sommaires, sauf pour l’auberge où je vais passer la nuit qui est très agréable, située dans le village de Nowbandian. Akim, le propriétaire des lieux et ami de Imran, a également pris l’initiative d’ouvrir une bibliothèque et d’inviter des professeurs ou des écrivains des grandes villes à venir passer plusieurs semaines dans son auberge afin d’enseigner aux enfants du village. C’est une belle action et lorsque nous nous promenons dans le village avec lui, Imran, et une locataire de son auberge, on sent qu’il est respecté et apprécié pour ce qu’il fait.
Puis, nous nous éloignons du village dans une sorte de brousse dont les paysages me font penser à la savane africaine que j’avais découverte en Tanzanie et la comparaison se renforce lorsque nous atteignons un campement de nomades qui ont construit des petites baraques en bois et en paille ainsi qu’un enclos pour leur troupeau tout comme le font les Massaï.
Ils nous offrent gentiment le thé et nous nous asseyons en tailleur sur leur tapis, Imran me prête pour l’occasion son écharpe baloutche que l’on peut nouer autour des jambes et du dos afin de pouvoir reposer le dos. Je profite de ces instants sachant que le lendemain, de nouvelles aventures m’attendent dans un nouveau pays mais pour le moment je pense encore à l’Iran, ce pays qui a été largement à la hauteur de mes espérances en terme de paysages, de monuments historiques et de rencontres humaines.
En faisant les comptes le soir dans ma chambre, je réalise que je suis déjà arrivé environ aux deux tiers de mon itinéraire avec un peu plus de dix mille kilomètres déjà parcourus !
Nous verrons ce que l’avenir nous réserve : cap à l’est !
Et en bonus pour clôturer ce si beau chapitre de l’Iran j’ai fait un petit montage vidéo de cette dernière et si belle journée dans la région du Baloutchistan avec une très jolie chanson baloutche que nous avons écoutée dans la voiture avec Imran.
Le matin, je fais un petit tour dans le bazar de la ville de Qeshm mais qui n’a pas grand intérêt puis je prends le ferry pour Bandar Abbas où je retrouve Magid, qui vient gentiment me chercher en voiture à la sortie du port. Il est accompagné d’une amie à lui, dénommée Shima, qui serait intéressée pour voyager en m’accompagnant sur une partie de mon trajet. Au début, je suis un peu surpris par cette proposition mais nous faisons connaissance en déjeunant tous les trois ensemble chez l’ami de Magid et j’ai confiance en Magid après tout ce qu’il a fait pour moi.
Cependant, je précise bien que mon but est de rejoindre en auto-stop la ville de Chabahar qui est située quasiment à sept cent kilomètres de Bandar Abbas étant donné qu’il n’y a pas de ligne de bus sur cette route qui longe la côte et que je n’en ai quasiment jamais fait. Shima non plus mais, après avoir discuté longuement avec Magid qui semble l’encourager à m’accompagner, elle finit par accepter.
Pour aujourd’hui ce sera facile car nous pouvons utiliser un taxi collectif afin de rejoindre la ville de Minab qui est située à environ quatre-vingt-dix kilomètres donc il n’en restera plus que six cents à parcourir en auto-stop.
Shima trouve un logement dans une sympathique auberge avec des chambres dans des habitations traditionnelles dont les toits sont en bois léger et qui se situent au milieu d’un grand jardin de fleurs et d’arbres fruitiers. Il fait déjà nuit quand nous arrivons, nous nous installons et nous dînons sur place tout en discutant des options possibles pour les jours suivants puis nous nous couchons tôt car Shima souhaite voir le lever du soleil (je n’aurais pas la force de me lever aussi tôt).
Jour 76 (2/12/2022)
Le matin, nous prenons le temps avec Shima de profiter de l’hébergement traditionnel pour visiter le grand jardin avec le propriétaire. Il possède également une réserve de poissons dans un large bassin et de multiples variétés de fleurs et d’arbres fruitiers. Pour être franc, je ne suis pas un grand amateur d’arboriculture, préférant la visite de lieux historiques ou alors des balades en plein air mais je me borne dans ce cas à admirer les couleurs, les reliefs et les formes sans arriver à identifier toutes les espèces d’arbres et de plantes mis à part les plus connus. Généralement, j’oublie assez vite les explications sur ce sujet et, surtout, ce jour-là mon principal objectif est de commencer à faire de l’auto-stop car je ne sais pas du tout comment cela va se passer ni si nous arriverons à aller aussi loin que prévu. Cette incertitude est à la fois excitante et inquiétante car cette fois-ci je n’ai pas un fauteuil qui m’attend dans un bus avec un chauffeur pour m’emmener au lieu et à l’heure prévue.
Je tâche tout de même d’écouter avec attention les explications précises du propriétaire et de son fils qui nous accompagnent, ils possèdent vingt-deux variétés de palmiers, des manguiers dont l’un existe depuis plusieurs siècles, ils disposent des tas de têtes de crevettes autour des arbres pour fertiliser les sols. Ils ont aussi plusieurs variétés de citrons et d’orange qu’ils nous font goûter.
Nous terminons la visite au bout d’environ une heure puis nous rentrons dans notre chambre pour faire nos affaires mais je sens que Shima est indécise, ce que je comprends tout à fait car elle n’a jamais fait d’auto-stop et je ne peux pas non plus la rassurer en lui partageant mes expériences car je n’en ai pas ! Donc je décide d’appeler Zeinab afin qu’elle puisse nous donner quelques conseils et elle prend gentiment le temps de discuter avec Shima pour la rassurer. Après quelques minutes d’échange, on sent déjà une complicité s’installer entre elles.
Nous quittons finalement l’hôtel vers quatorze heures et nous prenons un taxi pour nous emmener à la ville de Minab car notre hébergement était situé à l’écart du centre. Il nous faut d’abord retirer de l’argent en liquide car Shima n’en a pas et je n’en ai plus beaucoup non plus mais il n’y a pas de distributeur de la banque de ma carte et Shima ne peut retirer qu’environ six euros, ce qui est généralement la limite de retrait par jour en Iran. Nous essaierons de faire avec ce que nous avons.
Ça y est, il est temps de se lancer dans l’auto-stop, après en avoir tant parlé nous allons découvrir par nous-mêmes comment cela se passe. Ce n’est pas très pratique car nous sommes en plein centre-ville donc nous pourrions tomber sur des voitures qui font simplement un trajet en ville et il nous faudrait une bonne heure de marche pour sortir de la ville alors qu’il est déjà tard dans l’après-midi.
Je lève donc le pouce en tentant d’afficher un sourire décontracté même si au fond de moi j’ai un léger doute sur la réaction des gens. Assez rapidement, des chauffeurs s’arrêtent mais en pensant que je cherche un taxi, la plupart ne connaissent pas le concept de l’auto-stop (qui n’a pas de mot équivalent en farsi) et lorsque Shima leur explique le principe, ils s’en vont un peu déçus de perdre une opportunité de gagner de l’argent. Certains nous conseillent de prendre un taxi et nous proposent de nous emmener à une station à proximité mais nous déclinons gentiment pour continuer de tenter notre chance. Au bout d’une petite dizaine de minutes nous avançons sur une centaine de mètres à pied avec Shima puis nous réessayons.
Je me motive en me rappelant Erfan qui m’indiquait à mon grand étonnement qu’en Iran il attendait à peine cinq minutes en moyenne pour trouver un chauffeur et j’avais lu récemment un récit fort intéressant de Ludovic Hubler, un français qui avait fait le tour du monde en auto-stop pendant cinq ans (bateau-stop également pour traverser les océans) et qui arrivait toujours finalement à trouver quelqu’un pour l’emmener.
Pour notre part, nous avons un objectif assez modeste aujourd’hui de rejoindre la ville de Sirik qui se situe à environ soixante kilomètres. J’ai vaguement repéré un hôtel dans cette petite ville mais nous verrons sur place ce que nous ferons si nous y arrivons..
Finalement, au bout de cinq minutes, nous trouvons un chauffeur qui accepte de nous déposer quelques kilomètres plus loin où l’on nous a dit que l’on devrait avoir plus de chance de trouver un conducteur allant dans notre direction. Nous acceptons car c’est toujours ça de pris et je suis bien content d’être avec Shima pour cette première expérience car nous rencontrons très peu de personnes qui parlent anglais et c’est difficile de se faire comprendre. Shima est également très à l’aise pour discuter avec les gens et c’est peut-être un peu sous son charme que notre chauffeur nous propose finalement de nous emmener jusqu’à Sirik alors qu’il habite à Minab donc cela lui fait un trajet d’environ deux heures aller-retour pour cent vingt kilomètres ! Nous sommes très agréablement surpris et soulagés d’avoir pu trouver un chauffeur pour ce premier essai, l‘objectif de la journée est atteint !
Je découvre le plaisir d’arriver à la destination prévue alors que nous ne savions pas si nous trouverions quelqu’un pour nous y emmener. En plus, nous sommes piles à l’heure pour le coucher du soleil et nous prenons un petit verre de limonade avec notre héros du jour qui nous dépose au bout de la ville en bord de mer.
A l’arrivée à Sirik après notre première expérience d’auto-stop
Le spectacle est très reposant à regarder et nous sommes très fiers et heureux avec Shima d’y être arrivés. Nous prenons le temps d’observer les reflets du coucher du soleil sur les nuages et la mer, il y a pas mal de monde car nous sommes vendredi donc c’est le week-end et de nombreuses voitures roulent carrément sur la plage afin de profiter de la vue et de s’installer plus loin. Il y a à proximité un petit parc avec des bancs mais aussi des espaces individualisés avec un toit et des bancs pour permettre à des familles et des groupes de familles d’y faire un picnic à l’abri du soleil. C’est alors que nous vient l’idée avec Shima d’y passer la nuit. La température est douce, il n’y a pas de risque d’orage, nous sommes dans une petite ville donc il y a moins de risque de nous faire déranger pendant la nuit et, en plus, il y a des toilettes et un petit commerce pour acheter quelques provisions.
De mon côté, j’ai mon sac de couchage, un tapis de sol et une gazinière de camping que je n’ai pas utilisés depuis la Bulgarie et Shima a également un tapis de sol mais pas de sac de couchage. Pas de problème je pourrai lui prêter mon duvet et j’ai suffisamment d’habits chauds pour passer la nuit.
Nous choisissons donc un emplacement le plus en retrait possible et nous installons notre campement avec une certaine excitation joyeuse de sortir de l’ordinaire. Nous achetons de l’eau et des chips dans le petit commerce et je fais cuire des nouilles pour notre repas de campeurs. Il y a encore quelques voitures qui circulent avec les phares allumés et on entend un peu au loin de la musique au style reggae qui est émise par la voiture d’un groupe qui picnic dans le parc. Mais, à partir du milieu de la soirée, il n’y a quasiment plus de bruit à part le léger roulis des vagues et nous pouvons observer les étoiles et la lune dans le ciel. Shima, par son don du contact humain, parviendra à me trouver une couverture pour la nuit auprès du gérant du commerce et à lui laisser son portable et ma batterie externe pour les charger pendant la nuit.
Vue du coucher de soleil depuis notre campement en bord de plage avec des voitures qui circulent au plus près de la mer
Jour 77 (3/12/2022)
Ce matin, nous nous levons avec le soleil pour admirer sa lumière en restant emmitouflés dans notre campement de fortune. Shima s’est allongée sur un banc tandis que j’ai dormi par terre avec mon tapis de sol afin de pouvoir m’étendre complètement. La nuit a été plutôt bonne, nous n’avons pas été dérangé par du bruit et nous prenons notre petit déjeuner en admirant la mer alors qu’il n’y a personne à cette heure matinale.
Notre campement improvisé au matin
Puis, nous nous nous baladons sur la plage en ramassant quelques jolis coquillages dont Shima voudrait faire une décoration. Ensuite, nous rangeons nos sacs et nous partons à pied pour rejoindre la route principale afin de recommencer l’auto-stop. Je prépare mentalement Shima à avoir plus de difficultés à trouver un chauffeur le deuxième jour en pensant avoir eu la chance du débutant mais la suite va me prouver le contraire.
En effet, nous marchons à peine un kilomètre avec nos gros sacs sur le dos en plein soleil qu’une voiture s’arrête spontanément pour nous proposer de nous emmener dix kilomètres plus loin. La conductrice est avocate et elle nous recommande d’être prudents en nous donnant son numéro de téléphone au cas où. Nous faisons quelques provisions à l’endroit de notre première dépose puis nous reprenons l’auto-stop à la sortie du village qui n’est pas très loin. Plusieurs véhicules passent, certains s’arrêtent mais en pensant que nous voulons un taxi puis, au bout d’environ cinq à dix minutes, un jeune chauffeur nous propose de nous emmener cinq kilomètres plus loin. Nous acceptons même si c’est peu par rapport à notre nouvel objectif de la journée d’atteindre la ville de Jask située à une centaine de kilomètres. Finalement, notre chauffeur nous reprend à son retour après fait une petite course alors que nous levions le pouce depuis environ dix minutes sans résultat. Cette fois-ci il nous dépose dix kilomètres plus loin, il nous propose gentiment de déjeuner chez lui mais nous déclinons car nous préférons continuer de chercher un chauffeur afin d’avoir de la marge en cas de longue attente. C’est à mes yeux une des contraintes de l’auto-stop qui est l’incertitude sur le temps d’attente pour trouver un véhicule qui rend plus compliqué de prévoir des visites dans les environs mais on peut probablement mieux s’organiser avec plus d’expérience et du temps aussi.
L’auto-stop sur les routes iraniennes au Baloutchistan
Cette fois-ci, à peine ai-je levé le bras à notre troisième arrêt qu’un véhicule pick-up s’arrête et le chauffeur nous indique qu’il peut nous emmener jusqu’à la ville de Jask !!! Alors là, je n’en reviens pas que nous ayons pu trouver aussi rapidement, l’épreuve de la journée est réussie, nous pouvons désormais nous relâcher avec le sourire dans la voiture. Comme à son habitude, Shima se débrouille très bien pour faire la conversation en variant les intonations de sa voix et l’expression de son visage pour faire passer ses sentiments. Pour ma part, je suis en quelque sorte un passager clandestin qui peut dire à peine quelques mots de farsi pour remercier notre conducteur, lui indiquer que je suis français et les principaux pays que j’ai traversé ou que je compte parcourir. Sur la route, nous croisons plusieurs dromadaires sauvages, il y a même des panneaux de signalisation qui alertent sur leur présence comme en France pour des biches ou des sangliers. Le paysage est agréable à regarder avec de belles arêtes rocheuses et notre chauffeur s’arrête à un moment pour nos laisser prendre quelques photos.
Sur la route dans le pick-up avec Shima puis à la poursuite des dromadaires
Puis, il nous propose de déjeuner chez lui et de nous héberger pour la nuit. Nous le remercions de sa proposition mais nous insistons plusieurs fois pour lui dire que nous pouvons prendre un hôtel afin de s’assurer qu’il ne nous fait pas cette proposition par simple politesse (c’est la tradition du “taarof” en Iran et il est de bon ton de décliner une invitation plusieurs fois afin d’être sûr de ne pas déranger). Mais Muhammad notre bienfaiteur du jour nous confirme avec un grand sourire que cela lui ferait plaisir donc nous acceptons avec un enthousiasme partagé.
Nous sommes accueillis par sa femme qui nous sert le déjeuner assis en tailleur sur un magnifique tapis dans leur salon. Ils ont apparemment déjà déjeuné donc nous sommes les seuls à manger un plat avec du riz et une sorte de ragoût qui est bien appréciable après cette longue matinée. Puis, Muhammad repart travailler tandis que nous nous reposons dans le salon. La maitresse de maison, dont je ne me souviens plus le nom, nous présente de très beaux vêtements traditionnels féminins pour les grands évènements avec de belles couleurs vives et des dorures dont certaines sont cousues à la main par ses soins. Il y a également des masques d’apparat qui sont répandus sur les côtes iraniennes du golfe persique, j’avais vu des exemples similaires sur les îles de Hormuz et de Qeshm avec des motifs et des formes différentes.
La maitresse de maison avec ses habits traditionnels et vous pouvez également remarquer le magnifique tapis au sol
Ensuite, nous allons nous promener avec Shima pour observer le coucher du soleil en bord de mer puis, en rentrant, nous retrouvons les deux jeunes fils et la jeune fille de nos hôtes. Au début, ils sont timides et nous jettent des regards furtifs de curiosité pour ces étranges visiteurs mais je parviens à briser la glace en leur proposant de faire un jeu ensemble et le tapis du salon se transforme rapidement en terrain de foot pour une partie endiablée où un jeune voisin nous rejoint.
Muhamad rentre tard du travail vers vingt heures et nous dînons au même moment mais séparément, avec moi et Shima d’un côté du tapis et lui et sa famille de l’autre côté en étant servis les premiers. Je montre quelques photos de ma famille et de mes amis avec le petit album que j’emporte avec moi et je me sers également de mon blog pour montrer l’itinéraire de mon voyage. Nous faisons ensuite une photo souvenir avec toute la famille dans le salon puis il est tant de se coucher pour un nouveau défi le lendemain !
Notre famille d’accueil à Jask 🙂
Jour 78 (4/12/2022)
Ce matin, après avoir passé quelques coups de fils à des amis, Shima doit malheureusement repartir à Bandar Abbas pour des contraintes personnelles et professionnelles. Nous prenons le petit-déjeuner ensemble chez notre famille d’accueil en même temps qu’eux mais toujours à part puis, Muhamad nous emmène avec lui pour me déposer sur la route principale en direction de la ville de Chabahar tandis qu’il ramènera Shima à Minab où il doit emmener une voiture à réparer (son métier est dépanneur). Tout se passe vite et nous nous séparons avec émotion avec Shima un peu surpris et tristes que ce soit déjà terminé après ces deux jours de joyeuse découverte de l’auto-stop.
Cette fois-ci, je dois franchir quasiment quatre cent kilomètres pour rejoindre Chabahar donc je commence juste après m’être positionné en sortie de la ville après un ralentisseur pour que les véhicules aient le temps de me voir. J’espère que cela fonctionnera sachant que cette fois-ci je n’ai plus l’aide de Shima pour expliquer précisément notre démarche et savoir où le chauffeur pourrait m’emmener. Cette partie de la route le long de la côte est moins fréquentée et je constate que la plupart des véhicules s’arrêtent à la ville de Jask puis repartent dans le sens inverse mais il y a quand même quelques camions et voitures qui continuent dans ma direction. J’essaye d’afficher un air décontracté avec un grand sourire tout en levant le pouce mais le peu de véhicules passent sans s’arrêter. Il fait déjà chaud en ce début de matinée et il n’y a pas un coin d’ombre où je pourrais m’abriter tout en faisant du stop. Je reste patient malgré tout et parfois, si j’ai un doute sur un véhicule avec notamment plusieurs hommes à bord, je baisse la main mais c’est difficile à évaluer car les vitres sont souvent teintées dans cette région ensoleillée. Finalement, au bout d’une petite vingtaine de minutes d’attente, un camion transportant des cailloux pour la construction ralentit après m’avoir dépassé puis claxonne et met son clignotant en se déplaçant sur le côté tout en roulant doucement. Je me précipite avec mon sac, j’indique aux deux hommes dans la cabine la destination où je souhaiterais aller et ils me disent de monter. Je leur donne mon gros sac puis je gravis les échelons pour découvrir une spacieuse cabine avec deux larges sièges et un matelas installé à l’arrière. Le passager me laisse gentiment sa place sur le siège et s’installe sur le matelas. Il s’appelle Ahmad et son collègue au volant s’appelle Yazid, ils se relaient à tour de rôle tout au long du trajet. Ils m’accueillent chaleureusement et je crois comprendre qu’ils peuvent m’emmener sur une longue partie du trajet sans trop savoir jusqu’où mais je suis très heureux et les remercie vivement. Ahmad a vingt-cinq ans, Yazid en a trente-cinq et il est le papa de trois enfants, il semble être en quelque sorte le mentor de Ahmad de part son expérience ou plutôt son grand frère car ils ont une grande complicité. Ils sont originaires de la ville de Bandar Khamir située plus à l’ouest de Bandar Abbas au bord du golfe persique donc cela leur fait une longue route et heureusement qu’ils sont à deux. Ahmad me montre fièrement des photos et des vidéos de sa région avec de belles plages et de la mangrove ainsi que des cafés avec musiciens et, effectivement, cela donne envie d’y aller. A mon tour, je lui présente mon album photo ainsi que la carte de mon itinéraire sur mon blog. Ahmad et Yazid sont très sympathiques, ils m’offrent des pistaches puis, à un arrêt, ils m’achèteront des boissons énergisantes et des sucreries qui les aident à rester attentifs sur la route.
La cabine surélevée en hauteur avec une large vitre offre un beau panorama et la route au sud de la région du Baloutchistan iranien est très belle avec de hautes falaises rocheuses aux formes variées, des dromadaires, des chèvres et avec en fond sonore de la musique de la région de Ahmad et Yazid. La route n’est pas toujours en très bon état, il y a des nids de poules qui obligent à ralentir tout comme les dromadaires ou les chèvres qui traversent la route. Le paysage est très aride mais il y a quand même quelques palmiers dans des petites oasis et aussi nous croisons à un endroit un vaste champ de bananiers.
Nous traversons également quelques petits villages où les habitations sont vétustes avec du béton à nue sans même du crépit. La grande majorité des hommes portent la tunique traditionnelle des baloutches avec différentes couleurs généralement au ton clair et je vois peu de femmes dans les rues.
Je trouve la cabine assez confortable mais ça doit être une autre histoire quand il faut rouler une dizaine d’heures. Nous faisons une pause petite commission dans un endroit magnifique, en hauteur, surplombant une vallée semi désertique avec quelques arbres et au loin de hautes falaises avec des formes sculptées par l’érosion, je savoure ce moment.
Sur la route entre Jask et Chabahar
Ensuite, la route s’aplanit et la qualité de l’asphalte s’améliore puis je vois que Ahmad et Yazid discutent de l’itinéraire en semblant essayer de me déposer au plus près de ma destination finale. J’essaye de leur faire comprendre de ne pas faire un long détour pour moi et ils me répondent d’un sourire. Ils finissent par me déposer à environ une vingtaine de kilomètres de la ville de Chabahar et, dans la précipitation, j’oublie à mon grand regret de prendre une photo souvenir avec eux alors que nous avons passé quasiment cinq heures ensemble. Il faudra donc vous contenter de ma description !
Mise à jour du 31/01/23, voici une photo qu’ils m’ont gentiment envoyé à ma demande: Yazid est à gauche puis Ahmad est à droite avec leur camion derrière
De retour à l’auto-stop, j’ai tout juste le temps de lever mon pouce qu’une voiture s’arrête à mon niveau, je n’arrive pas à y croire. Je m’approche du véhicule en cherchant à expliquer que je ne souhaite pas de taxi pour aller à Chabahar et le passager sur la banquette arrière me répond en anglais qu’il connait bien le principe de l’auto-stop et qu’il peut même m’héberger chez lui à Chabahar. Il s’appelle Vahid, il a trente-trois ans, il habite Téhéran avec sa femme et leur petite fille mais il a des projets de constructions immobilières à Chabahar donc il vient régulièrement sur place pour les superviser. Il est venu de Téhéran en avion et il a pris un taxi pour se rendre à son domicile où il se propose de m’emmener. Je n’en reviens pas de la facilité de faire de l’auto-stop dans cette région (et apparemment dans tout l’Iran) et surtout de l’incroyable hospitalité des iraniens même si j’avais déjà entendu plusieurs témoignages similaires de la part de voyageurs. Et ce n’est pas tout, en arrivant dans sa maison, Vahid me fait visiter les différentes pièces en me disant de faire comme si j’étais chez moi, il allume son vidéoprojecteur en prévision du huitième de final de l’équipe de France (oui je sais, je suis accro) et il s’en va à son travail en me laissant les clés de chez-lui alors que nous nous connaissons depuis à peine trente minutes ! Qui ferait cela en France ou dans un autre pays? Pour ma part, je ne pense pas que je l’aurais fait mais l’attitude altruiste de Vahid m’incite à reconsidérer ma réaction possible dans ce type de situation si je me retrouvais à sa place.
En attendant le début du match, j’essaie désespérément de mettre à jour mon blog car j’ai pris beaucoup de retard à cause de problèmes pour télécharger mes photos, sans doute à cause du manque de réseau et puis j’ai été aussi pas mal occupé ces derniers jours en changeant régulièrement de lieu et en faisant de belles rencontres. Malheureusement, même avec le wifi de Vahid, cela ne fonctionne toujours pas donc je ne sais plus quoi faire. Je lance un SOS à mon ami Thomas qui m’avait déjà bien aidé pour le lancement de mon blog, étant lui-même un créateur et administrateur de site internet pendant son temps libre, et en attendant sa réponse, je continue d’avancer sur l’écriture des articles pour les illustrer plus tard avec des photos.
Vahid revient du travail pile au moment du match, nous regardons ensemble la belle victoire des bleus contre l’équipe de la Pologne puis nous dînons chez lui. Ensuite il me propose d’aller dans un café situé sur le toit d’un hôtel et nous rentrons ensuite nous coucher.
Je vous décrirai la visite de la ville de Chabahar et des ses environs dans un prochain article qui sera le dernier sur l’Iran. Cap à l’est!
L’île de Qeshm est bien plus grande que sa voisine Hormuz, elle a une superficie de mille cinq cents kilomètres carrés et s’étire sur une longueur de cent trente kilomètres pour une largeur maximale de quarante kilomètres. Je rejoins en taxi une auberge que j’avais trouvée sur internet et qui se trouve être un modeste appartement où les propriétaires me proposent de dormir dans le salon ou dans la chambre avec un tarif différent. Ils avaient d’autres chambres à disposition auparavant mais ils ont dû les fermer en raison de la baisse de fréquentation des touristes étrangers. Je suis étonné et un peu gêné par cette situation étrange mais c’est un couple de mon âge qui a l’air sympathique donc je décide de rester en dormant sur un tapis dans le salon.
Comme je souhaite sortir me balader, Kami me propose de me déposer avec son scooter au bord de la mer, ce qui me permet d’arriver juste à temps pour voir le coucher du soleil. Puis, je me promène sur le bord du rivage en direction du centre-ville, je croise de nombreuses familles qui font picnic dans un parc à proximité de la plage, il y règne une ambiance de vacances avec de la musique, des rires et ça se voit que c’est la saison touristique dans le golfe persique où les températures sont plus supportables qu’en été mais bien plus douces que dans le nord de l’Iran.
Ensuite, je continue ma marche à la recherche d’un restaurant et je découvre de grands complexes commerciaux et luxueux avec de nombreux magasins de marques éclairés par de multiples néons, ce type de quartier moderne et superficiel n’est pas de mon goût donc je ne m’y attarde pas beaucoup, le temps de manger sur place et de louer un scooter pour découvrir l’île le lendemain.
Le soir, j’avais demandé à mes hôtes Shima et Kami si je pouvais voir le match de foot de l’équipe d’Iran qui jouait un match décisif contre l’équipe des Etats Unis et Kami m’avait gentiment emmené dans un hall d’exposition bondé avec un écran géant. Malheureusement l’équipe d’Iran s’inclinera et sera donc éliminée de la compétition.
Coucher de soleil en arrivant à l’île de Qeshm
Jour 74 (30/11/2022)
Ce matin, je me lève tôt afin d’avoir le temps de faire le tour de l’île en scooter et de visiter les principaux points d’intérêts. Je fais mon premier plein d’essence en Iran avec un prix au litre dérisoire par rapport à ce que l’on paye en France (environ cinq centimes le litre).
La route est belle avec d’un côté la mer et de l’autre de grandes falaises aux formes variées et parfois qui ressemblent à des statues comme sur l’île de Hormuz ou en Cappadoce. Je fais un premier arrêt dans la « vallée des étoiles » qui permet de se balader au plus près de ces sculptures naturelles et originales. Il y a pas mal de touristes iraniens et je les recroiserai tout au long de la journée dans les différents sites à visiter.
Vallée des étoiles
Puis, je m’enfonce dans l’intérieur des terres pour passer sur la côte nord de l’île et je traverse de très beaux décors parfois dignes de westerns américains sauf que les dromadaires ont remplacé les chevaux et j’en croise plusieurs qui se promènent en toute liberté.
La route est magnifique et digne d’un film de western!
Le “dromadboy”
Ensuite, je fais une pause picnic avec des petits concombres, du pain et du fromage à l’ombre d’un des rares arbres situés au bord de la route car le soleil tape fort comme sur l’île de Hormuz. Je me balade dans le canyon Chahkooh avec de hautes fissures formant des gorges étroites dans la roche puis je fais un arrêt sur un ponton dans l’immense mangrove de l’île.
Le canyon Chahkooh
La mangrove
Il est temps de partir car le soleil se rapproche de l’horizon, mon réservoir est bientôt à sec donc je demande à un jeune passant devant moi en moto où je pourrais trouver de l’essence et il m’emmène chez une habitante de son village qui en vend dans des bouteilles, c’est original et pratique 😊
Il me reste encore une bonne heure de trajet retour et je profite d’une route large et en bon état avec peu de circulation pour jeter de temps en temps un regard dans mon dos afin d’admirer la magnifique lumière orangée du coucher de soleil sur les nuages
Après avoir rendu mon scooter en ville je cherche désespérément un café ou un restaurant qui diffuserait le troisième match de foot de l’équipe de France mais impossible d’en trouver. Un serveur me propose d’installer une application pour le regarder sur mon téléphone mais cela ne fonctionne pas donc je m’apprêtais à abandonner quand un autre jeune serveur me propose de regarder le match dans un magasin de chaussures qui est juste à côté de son restaurant kebap et, en plus, ils me servent sur place avec un sandwich shawarma qui est très bon ! Le match s’avère décevant mais cela aura été encore une belle démonstration de la gentillesse des iraniens. Puis le soir nous prenons un thé dans un café au bord de la mer avec des amis de Shima et Kami.
Magid me dépose au port de Bandar Abbas vers neuf heure trente du matin et on m’indique que le prochain ferry sera à treize heures. Je pense donc mettre à profit ce temps d’attente pour avancer dans l’écriture de mon blog mais à peine ai-je allumer mon ordinateur qu’une dame iranienne vient à ma rencontre pour me demander si j’ai du réseau. Nous engageons donc la conversation qui dévie rapidement vers d’autres sujets que les télécommunications en Iran et je lui raconte mon voyage ainsi que mon impression sur l’Iran. Mon interlocutrice s’appelle Parisan, elle est âgée d’une quarantaine d’années et elle a une fille d’une vingtaine d’années, elle habite à Téhéran mais elle a un projet immobilier sur l’île de Hormuz donc elle prévoit d’y passer un mois afin de suivre les travaux sur place.
Parisan est très joviale et sociable, lorsqu’elle aperçoit d’autres voyageurs avec un gros sac sur le dos comme moi, elle n’hésite pas à aller leur parler pour faire connaissance et je lui emboite le pas. Il s’agit d’un jeune homme turc, Erfan, et d’une jeune femme iranienne, Zeinab, qui se sont rencontrés en voyageant en auto-stop en Iran et qui font une partie de leur itinéraire ensemble. Puis un couple de français à vélo arrivent à leur tour, Camille et Antoine, originaires de Montpellier et qui sont partis de France depuis quasiment un an et demi avec pour objectif, comme moi, de rejoindre le Népal. Ils prennent le temps de découvrir les pays qu’ils traversent avec déjà quasiment trois mois en Iran et ils ont tout le matériel nécessaire pour être en complète autonomie.
Je suis impressionné de rencontrer autant de voyageurs en si peu de temps et avec des parcours différents mais avec chacun une part importante de défi personnel qui me font réfléchir à ma manière de voyager en bus qui requiert moins d’efforts et donc génère aussi moins d’aventure. Ils ont l’air très content de leur voyage et cela me fait plaisir de pouvoir parler français avec des compatriotes car cela permet de communiquer plus facilement et il y a une certaine complicité qui s’installe naturellement.
Je pensais initialement aller uniquement sur l’île de Hormuz mais chacun d’entre eux me conseillent vivement d’aller également sur l’île de Qeshm qui est juste à côté. Cela voudrait dire que je resterais plus longtemps que prévu sur ces îles alors qu’en parallèle j’ai du mal à obtenir des informations de première main sur la traversée de la route tout au sud-est de l’Iran longeant le golfe d’Oman puis sur le passage de frontière avec le Pakistan. J’ai changé d’itinéraire afin d’éviter de faire un grand détour pour rejoindre la frontière située plus au nord, du côté de la ville de Zahédan, qui semble plus éprouvante avec une escorte militaire et de nombreux checks points sur la route. Je suis en contact également avec un guide pakistanais dont j’ai sollicité les services afin d’obtenir mon visa mais aussi pour organiser les visites pendant la première semaine dans ce pays que je connais très peu via uniquement des vidéos de voyageurs et des articles en ligne. Toutes ces inconnues sont un peu stressantes mais il me reste encore un peu de temps pour m’y préparer et la très bonne nouvelle c’est que les deux autostoppeurs Zeinab et Erfan comptent emprunter la même route que moi dans la région du Baloutchistan iranien jusqu’à la ville de Chabahar donc cela me permettra d’avoir des éclaireurs !
Le trajet en ferry dure une quarantaine de minutes puis nous arrivons sur l’embarcadère de l’île de Hormuz dans une ambiance détendue avec de nombreux vacanciers iraniens qui viennent profiter du soleil et de la chaleur tandis qu’il commence à faire froid dans le nord du pays. Plusieurs locaux viennent à notre rencontre pour nous proposer de louer une moto, un scooter ou un chauffeur de tuktuk mais, pour le moment, ma priorité c’est de retrouver Derk dans l’une des auberges que l’on avait repérées en amont. Parisan a déjà réservé un logement tandis que les cyclistes et les autostoppeurs se donnent rendez-vous pour camper sur une plage de l’île donc nous nous séparons temporairement sachant que l’on se reverra très probablement dans cette petite île de quarante-deux kilomètres carrés de superficie.
Par chance, je croise Derk sur mon chemin qui déjeunait à proximité de l’embarcadère. Je suis très content de le retrouver et nous nous racontons nos péripéties depuis notre séparation à Kerman. Il est parvenu à rejoindre l’île et à trouver un hébergement agréable pour un bon prix puis à partir à sa découverte. C’est déjà son troisième jour sur place et il doit prendre un avion de Téhéran en fin de semaine donc il compte partir le lendemain. Pour ma part, je lui décris avec amusement comment j’ai failli moi aussi ne plus avoir de portable 😊
Ensuite, nous appelons un chauffeur de tuktuk afin de partir découvrir une partie de l’intérieur de l’île que Derk n’a pas encore pu visiter. J’aperçois pour la première fois les nombreux pics rocheux aux couleurs très variées de cette île volcanique qui me réserve de nombreuses surprises. Nous commençons par la visite de bassins de sel blanc dans lesquels s’écoule une eau claire et cristalline puis, comme nous avions fait avec Derk au désert de Lut, nous partons escalader des sommets rocheux afin d’avoir une vue panoramique la plus en hauteur sur cette partie de l’île. Je découvre une succession de dents rocheuses dans un décor digne d’un film de science-fiction.
L’eau cristalline dans des marres de sel
Ensuite, nous longeons le bord de l’île pour rejoindre le versant ouest afin d’admirer le coucher du soleil qui s’étire dans le ciel parsemé de quelques nuages pendant une bonne demi-heure avec toutes les nuances de jaune, d’orange puis de rouge : c’est magnifique. De retour à l’auberge, nous dînons ensemble avec Derk puis nous nous faisons nos adieux car il prendra un ferry tôt le lendemain afin de rejoindre la ville de Chiraz en bus.
Coucher de soleil dans la vallée des statues
Jour 72 (28/11/2022)
Pour cette journée, je décide de louer une moto afin de faire le tour de l’île qui peut se faire facilement en suivant l’unique route qui la ceinture. Ce sera mon retour au deux roues depuis mon voyage en Europe mais avec une moto bien plus ancienne et moins puissante. Les motos en Iran sont limitées à des cylindrées inférieures ou égale à 125 donc je loue une modeste et ancienne moto qui se démarre à la pédale de kick avec une pédale avant pour passer les vitesses, une pédale arrière pour rétrograder et le frein avant qui ne marche pas ! Heureusement, je ne roule pas vite pour profiter du paysage, la route n’est pas très pentue et elle est en bon état.
A peine ai-je commencé mon périple que je suis déjà saisi par la variété et les contrastes de couleurs sur cette île, c’est un décor unique avec des petits sommets pointus dont les cristaux brillent au soleil, il y a du blanc, du rouge, du jaune, du noir et dans tous les tons. Je m’arrête quasiment tous les quarts d’heures pour admirer les points de vue et me promener à pied.
Retour à la moto sur l’île d’Hormuz
Il y a de nombreux sites d’intérêts sur l’île, comme par exemple une plage où les tortues viennent pondre et couver leurs œufs, une grotte aux couleurs arc en ciel où j’ai cru un instant avec effroi m’être perdu, , la “plage rouge”, une grotte de sel, des montagnes qui ont des formes de statues d’animaux… Même si nous sommes pendant la saison douce, il fait quand même trente degrés et le soleil tape fort avec quasiment aucun point d’ombre sur l’île si ce n’est des stands de vente de souvenirs ou de boissons. Ainsi, pendant les six heures de mon parcours je boirai six litres d’eau ! Il parait qu’en été les habitants ne sortent quasiment pas de chez eux de dix heures du matin à quatre ou cinq heures de l’après-midi car il fait trop chaud. Donc, même si cette île est charmante, je ne pourrais pas vivre dans ces conditions et puis j’aurais vite l’impression de tourner en rond.
Plage des tortuesGrotte arc en ciel
La plage rouge
Il y a également la vallée arc en ciel qui mérite bien son nom avec un condensé des nombreuses couleurs flamboyantes de l’île puis j’emprunte à pied un sentier escarpé qui me mène à une plage déserte avec de belles falaises. L’endroit pourrait être paradisiaque mais il y a malheureusement de nombreux déchets qui ont été abandonné sur la plage par des promeneurs peu soucieux de préserver la beauté de ce lieu. J’en profite quand même pour me baigner dans cette eau turquoise et chaude, ma dernière baignade remonte à la Mer Noire en Bulgarie et cette fois-ci il n’y a pas de méduses !
La vallée arc-en-ciel
La plage où je me suis baigné (les déchets plastiques étaient sur la droite, je ne les ai pas pris sur la photo…)
La dernière attraction sur le chemin est un espace hôtelier avec des maisons à l’architecture très particulière, sous forme de cônes arrondis avec des couleurs vives qui, malgré leur originalité, se marrient très bien avec leur environnement naturel. Cela me fait penser à des bonbons, Hansel et Gretel ne sont peut-être pas très loin.
Le complexe hôtelier sous forme cônique: ça donne envie, non?
Ensuite je ramène la moto après un tour de quasiment six heures avec de nombreuses pauses pour me balader. Le propriétaire est soulagé car il avait quelques doutes au départ en me voyant chercher comment rétrograder les vitesses.
Je retrouve Parisan à l’auberge qui a finalement décidé d’y séjourner également car c’est un bon rapport qualité prix et nous sommes rejoints par Zeinab et Erfan qui passeront aussi la nuit dans cet hébergement avant de continuer leur voyage. Nous nous baladons donc ensemble dans la soirée dans le petit centre-ville avec un ancien fort des portugais qui leur servait auparavant à sécuriser leurs échanges commerciaux maritimes sur cette voie stratégique avant d’être délogés par les iraniens appuyés par les anglais. Nous dégustons des Samosas sur un tapis en bord de mer puis, plus tard dans la soirée, nous allons avec un taxi réservé par Parisan sur une plage plus éloignée à l’abri des lumières de la ville afin de pouvoir admirer une plage de sable qui brille pendant la nuit (je cherche encore à comprendre à quoi cela est dû si vous trouvez). On peut également y observer le phénomène du plancton bioluminescent qui s’illumine de bleu dans la nuit sur les bords du rivage avec le mouvement des vagues en s’accrochant aux rochers ou bien à nos pieds et nos mains lorsqu’on les secoue dans l’eau. Hormuz est décidément une île magique avec sa large palette de couleurs et de brillants !
Plage de sable brillant sous l’éclairage de nos lampes pendant la nuit
Début du jour 73 (29/11/2022)
Etant donné que j’ai pu découvrir les principaux points d’intérêts de l’île de Hormuz, je décide de partir découvrir l’île de Qeshm avant de rejoindre la région iranienne du Baloutchistan qui est frontalière avec le Pakistan. J’ai déjà dit au revoir la veille à Parisan qui partait tôt le matin et on se sépare également avec Zeinab et Erfan qui vont prendre un ferry pour Bandar Abbas afin de continuer dans la Baloutchistan, cela me permettra d’avoir plus d’informations récentes sur cette région. Nous rencontrons par hasard le couple de français à vélo et cela nous donne l’occasion de faire une photo souvenir en espérant que nos chemins se recroiserons !
Photo de groupe avec de gauche à droite: moi-même, Antoine et Camille les cyclistes français, Zeinab et Erfan les auto-stoppeurs irano-turc
Le ferry part légèrement en avance par rapport à l’horaire prévu car toutes les places sont prises et une joyeuse ambiance s’installe à bord grâce à un groupe d’hommes qui chantent à tour de rôle. En cette fin d’après -midi il y a une belle lumière qui éclaire les pics rocheux aux multiples couleurs de l’île de Hormuz qui a clairement des paysages uniques que j’ai n’ai jamais vu ailleurs. Notre bateau croise également de nombreux pétroliers et portes containers dans cet axe maritime stratégique du golfe persique.
Il est désormais temps de découvrir une nouvelle île!
C’est une nouvelle journée en bus qui s’annonce afin de parcourir les cinq cents kilomètres entre la ville de Kerman et celle de Bandar Abbas. Le paysage m’est désormais familier et il me vient à l’esprit la représentation suivante : le plateau pourrait être le palais d’une bouche, la route serait la langue et les montagnes acérées de chaque côté serraient les dents ou plutôt des crocs, j’espère ne pas m’enfoncer dans la gueule du loup !
En descendant vers le sud, je redécouvre les palmiers qui forment des oasis au bas des montagnes, toujours aussi belles avec la douce lumière de la fin de journée. Je les regarde avec attention car je pense ne plus les revoir en rejoignant le littoral, nous perdons déjà de l’altitude en descendant progressivement du haut plateau. C’est alors que les montagnes iraniennes me font un dernier au revoir en me saluant de leurs roches vertigineuses et éblouissantes sous le soleil. J’aurais bien fait quelques arrêts sur la route en lacets pour prendre le temps d’admirer les paysages mais j’arrive malgré tout à prendre quelques photographies en souvenirs depuis ma vitre. Nous passons un défilé de gorges rocheuses vertigineuses, je suis impressionné, c’est une route magnifique à refaire à moto et je ne regrette pas d’avoir pris un bus de jour plutôt que de nuit.
Photos prises du bus sur la route vers Bandar Abbas
Je profite également du trajet en bus pour lire sur ma liseuse électronique qui est bien pratique (encore merci les collègues !) et en ce moment je savoure avec délice le livre « Petit traité sur l’immensité du monde » de Sylvain Tesson, grand voyageur désintéressé du sensationnel, à l’humour cynique et acerbe mais qui laisse transparaitre une sensibilité pour la nature, les animaux et les êtres originaux comme lui. J’apprécie son phraser imagé, son sens de la formule, son vocabulaire riche et son esprit original et aventureux. J’arrive donc sur un petit nuage à la ville de Bandar Abbas mais je vais vite redescendre à une réalité moins attrayante.
Il fait nuit, je trouve un chauffeur de taxi qui me propose le même tarif que sur Snapp donc je le suis à pied vers sa voiture tout en regardant mon téléphone pour lui indiquer mon chemin et là, je tombe dans un caniveau large d’un bon demi mètre et profond d’au moins un mètre avec environ quinze centimètre de vase… Lorsque j’en ressorts, l’air hagard, je ne vois plus mon téléphone que je tenais auparavant dans ma main ! Il fait sombre, des gens allument leurs lampes de téléphone mais je ne le trouve pas autour donc je mets les mains puis les pieds nus dans la vase pour le chercher en tâtonnant. Je ressors des canettes, des bouteilles de verre mais aucune trace de mon téléphone. Au bout d’une dizaine de minutes, je demande à un passant d’appeler mon numéro iranien et ça sonne donc mon portable n’est heureusement pas dans la vase mais où est-il ?!
En regardant plus loin, nous finissons par trouver mon portable sur la voie rapide à proximité, l’écran a été entièrement fissuré par le roulement des voitures et l’écran de protection a été expulsé. Je me dis qu’il est foutu mais au moins il me reste les cartes Sim. Par contre, si je change de téléphone, je devrai réinstaller toutes mes applications et pour certaines c’est long et fastidieux comme par exemple les banques avec les authentifications à faire et je ne sais pas combien cela me coûtera d’acheter un nouveau téléphone. A ce moment, je me sens paumé sans cet objet électronique, en plus je suis un peu blessé au niveau de ma hanche droite et ma main gauche qui ont encaissé en premier ma chute. Mais que ferait Sylvain Tesson dans cette galère ? Probablement il ne serait pas dérangé de ne plus avoir de téléphone alors que je prends conscience que je l’utilise énormément dans mon voyage pour me repérer, communiquer avec mes proches et prendre des photos.
Voici le type de caniveau dans lequel je suis tombé dans l’obscurité et que j’ai fouillé avec mes mains et mes pieds pour chercher mon portable…
Pour commencer, je vais me laver les pieds et les mains dans les toilettes de la gare routière car je suis noir de vase. Ensuite, des passants commandent gentiment pour moi un chauffeur Snapp qui m’emmène dans le centre où j’avais repéré plusieurs hôtels. Cependant, en arrivant en ville sans mon téléphone j’ai du mal à me repérer et à trouver un hébergement. Bandar Abbas est une ville très moderne avec de nombreux magasins, parfois même de grands complexes commerciaux et il y a beaucoup de personnes qui déambulent dans les rues pour faire du shopping.
J’erre au hasard en cherchant un panneau signalant un hôtel mais je ne vois rien, j’essaye d’utiliser une carte de mon guide mais elle n’est pas assez précise, je commence à fatiguer. C’est là que mon sauveur, Magid, entre en scène. Il travaillait avec ses ouvriers dans un petit chantier pour rénover une bijouterie en tant que décorateur d’intérieur et il m’a aperçu dans la rue, l’air hagard, tandis que je m’approchais d’un immeuble que je pensais être un hôtel et que je cherchais à me repérer avec ma carte. Il me demande s’il peut m’aider avec un sourire bienveillant et une voix douce, je lui explique que je cherche un hôtel et il essaye d’en joindre un mais il est complet. Au fil de la discussion, je finis par lui expliquer que mon téléphone est cassé et donc que j’ai du mal à me repérer et à trouver un hôtel. Après m’avoir écouté avec attention et compassion, Magid me propose de m’héberger pour la nuit et de m’emmener d’abord dans un magasin de réparation de téléphone qu’il connaît. Je ne m’attendais pas à recevoir cette proposition qui me réchauffe le cœur et j’accepte avec grand plaisir ! A mon grand étonnement, mon téléphone pourra être réparé en remplaçant l’écran et je le récupérerai comme neuf au bout de seulement une heure!!! Je me sens extrêmement soulagé et je n’en reviens pas de pouvoir réutiliser mon téléphone aussi rapidement après l’avoir retrouvé sur la route, l’écran brisé en mille morceaux. Je remercie chaleureusement le personnel du magasin et, bien entendu, Magid! Je prends une photo avec mon téléphone réparé pour garder un souvenir.
Dans le magasin de téléphones: Magid est à gauche
Magid n’a pas hésité à mettre en pause son travail pour m’accompagner tout en passant quelques appels pour suivre à distance les travaux. Nous repassons rapidement au chantier de la bijouterie puis il m’emmène manger des samosas sur le chemin vers son logement. Nous pouvons désormais prendre le temps de nous présenter. Magid habite la belle ville de Yazd avec sa famille où il possède une galerie de peintures modernes dans le centre-ville en plus de son activité de décorateur d’intérieur. Il est à Bandar Abbas pour un mois afin de superviser les travaux de la bijouterie mais il a également d’autres chantiers. De plus, Magid est un dessinateur talentueux et il me montre plusieurs de ses dessins de monuments de la ville de Yazd, notamment le bazar dans un style assez proche des impressionnistes que j’apprécie beaucoup. Magid donne également des cours de dessins à des étudiants dans la ville de Yazd et je me souviens à présent en avoir vu qui dessinaient en extérieur la mosquée Amir Chaghmagh lorsque je la visitais. Bref, Magid est une personne très active et ouverte aux autres.
Nous arrivons dans son logement qui se trouve être l’appartement d’un de ses amis qui l’héberge pendant son séjour à Bandar Abbas. Son ami m’accueille tout naturellement et m’invite à prendre place sur un grand tapis placé au milieu du salon tandis que Magid prépare un thé. J’avais déjà entendu de nombreux témoignages de voyageurs louant la grande hospitalité des iraniens et j’en ai désormais un nouvel et très bel exemple !
Chez l’ami de Magid
Magid me montre un recueil de ses dessins qu’il emporte avec lui et des photographies de sa galerie de peintures, c’est très jolie et je suis impressionné par la finesse de son pinceau, étant moi-même un piètre dessinateur pour l’avoir expérimenté plusieurs fois au jeu du Pictionnary avec ma famille. Je montre à Magid mon petit album photo pour lui présenter les membres de ma famille lors de rassemblements familiaux dans différentes régions de France, c’est aussi pour moi l’occasion de me remémorer avec plaisir tous ces bons moments. Je présente également mon blog avec notamment mon article sur la ville de Yazd où il habite et il apprécie mes photos à mon grand plaisir, ça me permet de compenser mon inaptitude au dessin 😊
‘A gauche, un dessin de Magid et à droite, une photo que j’avais prise au même endroit à Yazd: quel talent!
Ensuite, nous installons des matelas fins, des coussins et des couvertures au sol avec Magid et ce sera ma première nuit chez l’habitant en Iran en dormant sur l’un de ces fameux tapis persans, finalement c’était un mal pour un bien d’être tombé dans ce caniveau car cela m’a permis de faire cette très belle rencontre !
Début du jour 71 (26/11/2022)
Nous nous levons tôt le matin avec Magid afin d’aller nous promener au bord de la mer pour donner du pain aux oiseaux et aux poissons ainsi qu’observer les pêcheurs qui relèvent leurs filets pleins de poissons qui, les pauvres, se débattent encore (photographie de couverture).
La température est douce et il y peu d’agitation sur la route à cette heure-là donc c’est agréable pour commencer la journée. Ensuite, nous allons prendre le petit déjeuner à l’appartement avec l’ami de Magid, assis en tailleur sur le tapis du salon, avec du pain, du yaourt mélangé avec du miel, du thé, des noix et du fromage. Puis, Magid m’emmène au port de Bandar Abbas pour que je puisse prendre un ferry vers l’île de Hormuz qui m’a été conseillée par de nombreux voyageurs donc je suis impatient de la découvrir.
La route en direction de Kerman ne varie pas beaucoup des précédents trajets en Iran : un plateau, du désert et toujours des montagnes au loin. Dans le bus, je fais la connaissance de Derk, un hollandais de vingt-sept ans, qui a fait un voyage d’environ trois mois au Pakistan puis en Irak, ensuite en Turquie et il termine par l’Iran. Lui aussi il a choisi des destinations atypiques et souvent jugées risquées mais heureusement il n’a eu aucun problème.
Nous avions repéré la même auberge à Kerman donc nous décidons de prendre un taxi ensemble et surtout, le point positif, c’est que nous avons tous les deux envie de visiter le désert de Lut donc cela nous permettra de faire le voyage ensemble et de partager les frais.
En arrivant à la gare routière, j’essaye de réserver un chauffeur avec l’application Snapp mais le conducteur a du mal à nous trouver car il y a plusieurs entrées. Une voiture s’arrête à notre niveau et nous croyons comprendre que le conducteur nous propose de nous emmener pour le même tarif que Snapp. Nous finissons par accepter car nous avons hâte d’arriver à l’hébergement après un long trajet en bus.
Cependant, lorsqu’il nous dépose au lieu prévu, il réclame bien plus d’argent que ce que nous pensions qu’il était convenu et nous parlementons quelques temps puis nous décidons de sortir de la voiture en lui donnant davantage mais pas assez pour lui. Derk ne peut pas sortir de son côté donc il passe par ma porte et nous récupérons nos sacs à dos dans le coffre en saluant froidement le conducteur. A peine avons-nous marché dix mètres que Derk se rend compte qu’il a oublié son téléphone sur la banquette arrière ! Nous nous précipitons mais c’est trop tard, la voiture est partie et nous n’avons pas pu relever la plaque d’immatriculation. Là, c’est la galère, on réfléchit avec Derk à ce que nous pourrions faire mais nous ne voyons pas grand-chose à part attendre sur place et espérer que le chauffeur revienne après s’être rendu compte de l’oubli bien que nous n’ayons que peu d’espoir au vu de son attitude. J’essaye de joindre le service client Snapp pour leur demander d’envoyer un message aux chauffeurs de la ville de Kerman car il m’a semblé que le chauffeur en fait partie mais j’ai du mal à me faire comprendre et je finis par abandonner. Une personne remarque notre mine dépitée et propose à Derk de l’emmener à la gare routière au cas où le le chauffeur y serait retourné et pendant ce temps, je reste sur notre lieu de dépose.
Au bout d’une heure, je vais à l’hôtel et Derk me rejoint quelques instants plus tard, sans résultat. Le gérant de l’auberge se propose spontanément de nous aider en cherchant à obtenir des images des caméras de vidéos surveillance et il fera les démarches dans ce sens auprès de la police mais malheureusement cela ne permettra pas d’identifier le chauffeur. Nous essaierons également avec Derk de localiser son téléphone avec des applications Apple mais cela ne fonctionnera pas.
Malgré tout, nous essayons de nous changer les idées en dînant sur place puis nous nous installons dans notre chambre qui possède une télévision d’où nous pouvons regarder les matchs de la coupe du monde dont nous sommes tous les deux très intéressés. Ce soir, nous assistons à la belle victoire des bleus contre l’équipe d’Australie, en espérant qu’ils puissent garder la coupe à la maison !
Jour 67 (23/11/2022)
Le matin, nous continuons de regarder les démarches possibles avec Derk et Farhab, le gérant de l’hôtel, pour retrouver le chauffeur et nous nous mettons d’accord également pour organiser la visite du désert de Lut avec un chauffeur guide en tout début d’après-midi et jusqu’à la tombée de la nuit pour admirer les étoiles. Je suis très content d’avoir rencontré Derk et que nous ayons le même objectif d’aller dans ce désert pour partager ce moment ensemble (en plus des frais). C’est une destination de l’Iran que je souhaitais absolument visiter après avoir vu des vidéos de voyageurs.
En attendant, nous allons nous promener dans le quartier et acheter à manger pour le déjeuner puis nous retrouvons à l’auberge notre chauffeur guide pour nous emmener dans le désert de Lut. Il s’appelle Metti, il a tout juste la trentaine et il possède également un hôtel en plus de son activité de guide touristique.
Pour accéder au désert, nous devons tout d’abord monter en altitude et franchir une imposante barrière de montagnes via un tunnel pour ensuite redescendre bien plus bas que la ville de Kerman. Sur la route, Metti nous explique que les arbustes dans le désert que nous traversons forment des monticules de sable parfois de plusieurs mètres de haut en retenant le sable projeté en l’air lors des tempêtes avec ses feuilles et ses racines. Nous visitons également un caravansérail sur la route mais je ne m’y attarde pas beaucoup car je suis impatient de découvrir le désert de Lut.
Après environ une heure et demi de route, nous apercevons enfin ces fameuses falaises de sable dont les silhouettes sont façonnées par le vent. D’après les explications de Metti, la formation de ce désert est dû à l’émergence d’un grand volcan à proximité qui a stoppé l’écoulement de l’eau qui venait auparavant inonder la zone et aplanir la surface en la recouvrant de sable. Désormais, cette zone ne reçoit quasiment plus d’eau et elle est traversée par des vents forts projetant des grains de sable qui viennent effriter les parties fragiles de la structure et former progressivement ces falaises aux multiples formes par un phénomène d’érosion aérienne. En été, il peut faire jusqu’à soixante-dix degrés pendant la journée donc dans ces conditions il ne peut pas y avoir d’espèces animales, on comprend ainsi pourquoi ce désert s’appelle Lut, qui signifie « nu et vide » !
Nous quittons la route principale pour nous enfoncer plus profondément dans le désert en suivant une piste sur une quinzaine de kilomètres et nous observons avec nos yeux ébahis ces immenses falaises de sable. Puis, Metti nous dépose afin que nous puissions nous balader à pied pendant une bonne heure avant d’aller admirer le coucher du soleil dans un autre endroit. Avec Derk nous sommes excités comme des gamins et nous ne savons pas trop par où commencer avec toutes ces formes de sable différentes autour de nous. Finalement, nous optons pour prendre de la hauteur et nous nous lançons dans l’ascension d’une montagne de sable en faisant notre propre chemin dans la pente. Je mitraille les alentours de photos et j’en fais également pour Derk afin qu’il puisse garder des souvenirs.
Une fois arrivés sur la crête, nous basculons sur l’autre versant et nous revenons en direction de Metti qui commençait à s’inquiéter de ne plus nous voir. Il nous emmène ensuite au pied d’une grande falaise sur laquelle nous pouvons facilement accéder au sommet qui offre une vue panoramique sur le désert avec le coucher du soleil. Le site est majestueux, après quelques prises de photos je m’assois pour contempler le paysage dans ce décor unique. Cela me fait prendre conscience du chemin que j’ai parcouru sur la route depuis mon départ de Paris à la mi-septembre et j’en suis très fier, notamment d’avoir pu atteindre des endroits comme le désert de Lut que j’avais identifié à l’avance sur la carte sans savoir si j’y arriverais et maintenant, j’y suis ! Mais il me reste encore beaucoup de chemin à parcourir donc je savoure le moment tout en pensant à la suite du voyage.
Ensuite, nous redescendons à la voiture pour installer un grand tapis au sol et prendre un thé tout en observant le coucher du soleil qui s’étire dans le temps avec plusieurs couches de couleurs qui s’empilent sur les sommets des montagnes, c’est très beau.
Derk, Metti et moi-même installés sur un tapis pour admirer le coucher de soleil tout en prenant un thé
Puis, petit à petit, le ciel s’obscurcit et les étoiles commencent à apparaitre progressivement et nous nous allongeons sur le tapis dans ce planétarium géant. Il n’y a pas de bruit, l’air se rafraîchit légèrement et les étoiles scintillent désormais dans tout le ciel. Il y en a tellement que cela devient difficile de distinguer les quelques constellations que je connais, je crois reconnaitre le W de Cassiopée mais non, elle était ailleurs avec une rotation à quatre-vingt-dix degrés. La voie lactée est resplendissante, on croirait même l’apercevoir en relief avec des masses sombres et lumineuses. Nous restons un long moment à admirer ce spectacle nocturne et à prendre des photos avec l’aide de Metti qui a l’habitude.
Nous finissons par quitter ce lieu magique qui restera gravé dans nos mémoires, j’y retournerais avec grand plaisir en allant si possible plus profondément dans le désert mais il faut dans ce cas prévoir plusieurs véhicules 4 x 4 car il y a des risques de s’ensabler et il faut des personnes qui connaissent bien le terrain.
Sur la route du retour, Metti nous fais visiter une immense citerne à eau creusée dans le sous-sol comme j’avais pu en voir dans une cité sous-terraine près de la ville de Kashan mais plus petite. C’est une immense cuve cylindrique qui est recouverte par un sommet en coupole plutôt qu’un toit plat afin de limiter la surface exposée au soleil et réduire donc la chaleur dans la citerne. Il y a également des tours à vent disposées de chaque côté comme à Yazd afin de rafraichir l’eau et les habitants y ajoutaient un peu de sel pour la conserver potable. Ils pouvaient accéder à cette réserve d’eau via un grand escalier s’enfonçant profondément sous terre.
Metti nous donne beaucoup d’explications intéressantes et nous continuons la conversation dans la voiture. Nous rentrons tardivement à l’auberge pour y prendre un dîner puis regarder un match de football avant de nous coucher en pensant encore à ces images magnifiques du désert de Lut et du ciel étoilé.
Jour 68 (23/11/2022)
Pour aujourd’hui, nous n’avons pas prévu grand-chose avec Derk étant donné que nous avons visité la veille le lieu qui était le plus important à nos yeux dans la région. Après avoir fait le point avec Farhab concernant les démarches pour essayer de retrouver le téléphone, nous allons visiter le bazar de Kerman, passage obligé et toujours apprécié dans chaque ville iranienne.
Le bazar de Kerman est agréable à visiter avec ses larges places à ciel ouvert et sa galerie de commerçants qui aboutit sur un grand marché de fruits et légumes avec une belle vue sur les montagnes.
Extérieur du bazar de Kerman avec vue sur les montagnes
Ensuite, nous rentrons déjeuner à l’auberge puis nous réservons un taxi pour aller visiter le jardin de Shahzadeh, situé à une cinquantaine de kilomètres dans la ville de Mahan et qui est classé au patrimoine mondial de l’Unesco. Mais nous ne le trouvons pas si exceptionnel que cela malgré ses bassins à étages et sa haie de grands arbres aux couleurs de l’automne, sans doute son caractère exceptionnel vient du fait de sa situation géographique dans une région très aride. En plus, je suis suivi par un iranien pot de colle qui est très heureux de pouvoir parler français avec moi mais c’est une conversation à sens unique où il déverse un flot ininterrompu de paroles en me demandant mon avis sur des sujets polémiques donc je finis par ne plus lui répondre et continuer mon chemin sans faire attention à lui. Finalement, la plus belle vue sera en sortant des enceintes du jardin pour admirer les chaines de montagnes de chaque côté du plateau. Ensuite nous allons visiter un sanctuaire sur la route puis nous rentrons à l’auberge.
Vue intérieure du jardinVue extérieure du jardinAlors, quelle est votre vue préférée?
J’avance sur mon blog tout en regardant un match de foot à la télévision et je passe quelques coups de fils à mes proches. Je prête également mon téléphone à Derk pour qu’il puisse échanger avec sa famille. Nous prenons une nouvelle fois le dîner sur place et Derk décide de réserver un bus de nuit le soir même pour la ville de Bandar Abbas afin de rejoindre l’île d’Hormuz. C’est ce que j’ai également prévu dans mon nouvel itinéraire mais je préfère voyager de jour afin de pouvoir observer les paysages donc nous repérons à l’avance quelques auberges sur place afin de pouvoir s’y retrouver dans quelques jours.
En préparant un thé dans la cuisine de l’auberge, nous rencontrons un groupe d’iraniens qui font un petit barbecue dans le jardin et qui nous proposent de les rejoindre. Nous acceptons avec plaisir et c’est l’occasion de pouvoir échanger davantage avec des iraniens en leur partageant nos anecdotes de voyage et de leur côté ils nous permettent d’en apprendre davantage sur leur pays. Ils sont originaires de la ville de Kerman et ils ont à peu près notre âge, nous nous entendons bien.
C’est l’heure de partir pour Derk pour un long voyage de nuit en espérant que nous pourrons nous retrouver à l’île d’Hormuz !
Jour 69 (24/11/2022)
Finalement, je décide de rester un jour de plus dans la ville de Kerman car je me doute qu’ensuite dans le golfe persique ce sera un autre type de paysage et d’architecture donc je me promène à nouveau dans le bazar en ayant un regard plus attentif sur les tours à vent, les grandes portes à arche avec leurs décorations raffinées et leurs couleurs vives afin de bien les garder en mémoire.
Bazar de Kashan
Je retrouve également en fin de matinée le groupe d’iraniens rencontrés la veille pour prendre un café sur une terrasse éloignée de la zone touristique et très agréable, je n’y serais clairement pas allé sans eux. Puis, ils me ramènent à l’hôtel et nous nous donnons rendez-vous le soir pour dîner ensemble une dernière fois en ville.
Pendant l’après-midi, je reste longtemps dans ma chambre afin d’avancer sur mon blog tout en regardant la belle victoire de l’équipe d’Iran contre l’équipe du pays de Galles qui les relance dans la qualification pour les huitièmes de finale, espérons qu’ils y arriveront !
Le trajet en bus de Chiraz à Yazd est long et assez ennuyeux sur la fin car il fait nuit (environ sept heures de route avec un petit arrêt). En arrivant à la gare routière, je trouve assez facilement un chauffeur avec l’application Snapp qui m’emmène jusqu’à l’auberge dans le centre-ville conseillée par Gijs et je demande comme prévu une place en dortoir qui se transforme en chambre individuelle car il n’y a personne d’autre.
Je pars rapidement acheter un sandwich dans la ville puis je rentre dans ma chambre, assez impatient de me poser tranquillement après ce long trajet en bus. Je profite de la bonne connexion internet pour me faire une longue session de « binge watching » de vidéos d’actualité ou d’extraits de films d’action pour me détendre et je fais aussi une petite mise à jour du blog pour indiquer ma nouvelle étape sur la carte. J’appelle également mes parents car lors de la dernière tentative nous étions régulièrement coupés.
Jour 64 (19/11/2022)
Dès le début de la matinée, je me lance dans la visite du centre-ville sous un beau ciel bleu et un soleil radieux. A proximité de mon auberge se trouve la très belle Mosquée Amir Chaghmagh colorée de différentes nuances de turquoise, fidèle à l’art de la décoration iranien.
Mosquée Amir Chaghmagh
Puis, je déambule au hasard dans les ruelles étroites et sinueuses de ton ocre formées par les habitations en terre cuite. Cela me rappelle avec plaisir la belle ville de Kashan, on peut se déplacer facilement à pied car peu de voitures s’aventurent dans ce dédale de rues dans le centre historique alors qu’il y a en périphérie de larges voies de circulation. Un vent rafraichissant s’immisce dans les ruelles et je peux découvrir au loin, par-dessus les murs et les toits des habitations, des montagnes qui étaient cachées à ma vue lors de mon arrivée nocturne en bus la veille. Tous ces éléments font que je me sens bien dans cette ville et je me laisse porter par mon instinct pour choisir un chemin suivant les multiples possibilités qui s’offrent à moi, sans regarder la carte et quitte à revenir parfois sur mes pas.
La ville de Yazd possède de nombreuses tours à vents (appelées Bagdir) que j’avais découvertes pour la première fois dans une riche demeure de Kashan. C’est une haute cheminée en terre cuite dont l’intérieur est divisé en plusieurs conduits triangulaires séparés par des planches en bois qui permettent de capter les vents et les rediriger dans les habitations pour les rafraichir mais également d’évacuer l’air chaud par les autres conduits disponibles. Même en cas d’absence de vent, l’air dans les conduits se réchauffe sous l’effet du soleil et peut générer une ventilation étant donné que l’air chaud plus léger s’évacue de la cheminée et crée un appel d’air.
Les architectures de ces tours à vent sont variées et je ne me lasse pas de les admirer sous tous les angles en les mitraillant de photos souvenirs. Il y a également tout autour du centre historique quelques hautes et larges murailles qui protégeaient cette ville auparavant riche et prospère grâce à son commerce sur les routes de la soie.
‘Tours à vent (Bagdir): à gauche elles sont utilisées pour refroidir l’eau stockée dans une citerne souterraine sous le dôme
En plus des tours à vent, la ville de Yazd tout comme une grande partie des régions iraniennes confrontées à la problématique des grandes sécheresses, a su utiliser avec ingéniosité des systèmes de canalisations appelés Qanats qui étaient creusés profondément sous terre afin de rejoindre des sources d’eau généralement proches des montagnes puis, avec une légère pente, permettaient d’alimenter en eau les villes et d’irriguer les champs sur le plateau. C’était également combiné avec d’autres techniques comme par exemple entreposer des morceaux de glace dans des salles en sous-sol aérées et à l’abri du soleil pour conserver de l’eau et de la fraîcheur. Ces techniques sont très anciennes et démontrent une nouvelle fois toute l’ingéniosité des peuples de cette région.
Désormais, le soleil est plus haut et, en suivant les conseils de Renaud, je marche à l’ombre des murs des habitations dans les ruelles pour éviter l’insolation. Yazd me plait beaucoup, c’est une ville très agréable à visiter par son authenticité, elle est bien préservée comme à Kashan, Mardin et Şanlıurfa avec de nombreuses maisons et monuments condensés sur une large superficie et avec le même type d’architecture et de couleurs.
En habitué, je fais la visite d’un nouveau sanctuaire puis je rejoins le grand jardin Dowlat Abadafin de me rafraichir au bord de son grand bassin ombragé grâce à de hauts arbres et aussi en me plaçant en dessous de son immense et magnifique tour à vent d’où je peux expérimenter le système de ventilation efficace. Je me fais la réflexion que l’Iran est le pays des charmes, fidèle à l’image que j’en avais des Mille et Une Nuit ou de Aladin.
Le jardin Dowlat Abad
La visite continue avec la découverte de l’imposant monument Amir Chaghmagh qui est un immense mur de voûtes en arches superposées sur deux niveaux et surélevé d’un troisième niveau avec deux hauts minarets de chaque côté. J’admire cette sorte d’immense château de cartes depuis une place où je prends un déjeuner un peu particulier. Ayant eu du mal à trouver sur mon chemin un sandwich ou même un kebap, je me rabats sur un pot de maïs cuit avec des champignons, du fromage, une espèce de mayonnaise et plein d’épices que j’accompagne pour me rafraîchir d’un jus de pommes grenades en souvenir du fruit que j’avais dégusté avec plaisir sur le sommet du mont Derak à Chiraz. Cependant, le plat de maïs s’avère écœurant avec son trop plein de sauce et je sens que le maïs va être difficile à digérer.
Amir Chaghmagh
Finalement, je ne termine pas mon plat et je continue mon chemin mais avec une désagréable sensation de perturbation dans mes intestins et un mal de tête, peut-être que le soleil omniprésent amplifie mes nausées et je me retiens d’une envie de vomir pour ne pas gâcher la beauté des lieux. Je marche désormais à petit pas et en respirant fort en espérant que cela passe avec de petites gorgées de jus de pommes grenades.
Heureusement, le spectacle est toujours aussi intéressant lorsque je m’enfonce dans la ville en direction d’un temple du feu zoroastrien. Sur le chemin, il y a plein de petits passages semi secrets avec des voûtes entre les murs, les tours à vents avec leurs architectures spécifiques et des points en hauteur me permettent également d’admirer la vue sur les montagnes environnantes.
J’arrive finalement au temple du feu zoroastrien, la ville de Yazd et ses environs ayant encore une communauté de plusieurs milliers de croyants. Un panneau explicatif me permet de mieux comprendre le symbole du vieux sage ailé avec des ailes et un anneau que j’avais découvert la première fois sur les sépultures royales de Persépolis. Vous trouverez ci-dessous la photo avec les explications en anglais dont voici une rapide traduction. Le sage barbu incite à respecter les anciens qui détiennent le savoir, le grand anneau du milieu représente le fait que les bonnes actions entraînent les bonnes actions et inversement les mauvaises actions entrainent les mauvaises actions. Le plomb à trois niveaux au-dessous du sage symbolise les idées malveillantes sur la première couche puis en dessous les mots négatifs et au dernier niveau les mauvaises actions tandis que les grandes ailes de chaque côté sont également à trois niveaux pour symboliser les pensées bienveillantes, les mots positifs et les actes bons. Le petit anneau dans la main représente la fidélité à ses promesses.
Le temple du feu à Yazd (avec les explications sur le symbole à gauche)
Le temple en lui-même n’a pas grand intérêt, la décoration est sobre et moderne où l’on peut appercevoir à travers des vitres un simple feu alimenté en continu. Ensuite, il y a une autre salle plus intéressante avec des photos et des explications en anglais des principales cérémonies de la religion zoroastrienne rythmant la vie de ses pratiquants (le nouvel an perse Norouz, une sorte de profession de fois pour les jeunes adolescents, le mariage…). D’après les quelques informations que j’ai lu dans mon guide et sur internet, la religion zoroastrienne est axée sur la dualité entre le Bien et le Mal et l’homme dispose d’un libre arbitre pour choisir le sens de ses actions avec l’idée que le bien engendre le bien et inversement. Ahura Mazda est le dieu principal et le feu est vénéré car considéré comme d’origine divine. Chaque être humain sera jugé à sa mort en fonction de ses actes mais l’enfer n’est qu’un passage temporaire pour racheter ses fautes avant de pouvoir accéder au paradis.
Cette visite a eu un effet bénéfique, peut-être en me permettant de penser à autre chose, car mes maux d’estomacs et de tête ont disparu et je peux reprendre tranquillement ma marche de retour, je ne suis pas prêt de réessayer ce plat de maïs !
Pour terminer cette journée en beauté, je prends un Coca dans un café qui dispose d’une terrasse sur le toit en plein centre du quartier historique. Je suis le seul sur la terrasse alors que la vue est magnifique sur la Mosquée Amir Chaghmagh, les toits de la ville de Yazd ainsi que sur les montagnes autour. Clairement, cette ville mériterait bien plus de touristes, en espérant qu’ils reviendront en nombre bientôt !
Vue du coucher de soleil sur la ville de Yazd depuis la terrasse d’un café sur les toits
Jour 65 (20/11/2022)
Ce matin, je pars tôt avec un jeune chauffeur du personnel de l’auberge qui m’emmène visiter toute la matinée plusieurs sites d’importances. Je m’étais décidé à réserver ce tour hier en fin de journée même en étant seul car la beauté de la ville de Yazd et de ses montagnes autour me laissait penser qu’il devait y avoir des sites intéressants à visiter autour ainsi que des paysages sympathiques et j’ai eu bien raison !
Nous empruntons une route de taille moyenne toujours située sur le plateau bordé par les montagnes et je me fais la réflexion que l’Iran est un pays de déserts mais aussi de montagnes, c’est la majorité des paysages que je vois depuis que je suis dans ce pays avec des variances de couleurs.
Après environ une heure de route, nous arrivons au premier arrêt dans la ville de Kharadaq. Mon chauffeur m’indique que je peux aller me promener dans un ancien caravansérail que je ne connaissais pas et dont je peux apercevoir depuis la vitre de la voiture d’anciennes hautes murailles mais cela ne me laissait pas entrevoir tout le reste. C’est après avoir traversé un petit tunnel creusé dans la muraille que je me rends compte de la taille du site, ce n’est pas un simple caravansérail comme j’avais pu en voir plusieurs auparavant mais une ville entière en briques de terre cuite qui est désormais abandonné mais où l’on peut se balader librement à travers les ruines. Aussitôt, je suis attiré par des escaliers dans une bâtisse pour prendre de la hauteur et je découvre, ébahi, l’ampleur du site avec ses nombreuses maisons de couleur ocre dont parfois il manque un toit ou des murs mais qui permettent tout de même de bien se représenter la ville de l’époque et, tout autour, un peu au loin, des montagnes majestueuses. En contrebas, il y a également quelques cultures qui ajoutent de nouvelles couleurs à ce panorama époustouflant. J’ai le souffle coupé par cette surprise magnifique et je reste de longues minutes à contempler ce paysage, seul au milieu de cette ville fantôme et de ce paysage majestueux.
La partie ancienne de la ville de Kharadaq complètement abandonnée autour des montagnes
Puis, je me lance à la découverte de chaque rue et de chaque habitation quand c’est possible d’y entrer. Je peux me déplacer librement dans cette ville ouverte aux quatre vents en faisant attention à ce que la structure en briques de terre qui s’effrite ne s’écroule pas sous mon poids donc je tâche de répartir au mieux mon centre de gravité et de marcher sur d’anciennes traces de pas. C’est un vrai dédale de rues et de pièces aux ouvertures multiples donnant sur des couloirs ou des escaliers permettant d’accéder à d’autres niveaux et points de vue. Je vais partout, assoiffé de curiosité et excité comme un gamin, je retrouve les sensations d’être Indiana Jones comme en Cappadoce. J’en ai presque les larmes aux yeux lorsque je contemple ce spectacle grandiose depuis une terrasse offrant une vue panoramique. L’effet de surprise a eu un rôle dans ces sensations mais c’est aussi ce mélange de grands espaces naturels et de monuments historiques s’insérant parfaitement dans ce cadre et même le bonifiant qui m’émeut.
Je me lance dans la visite de toutes ces habitations et ruelles avec grand plaisir
Je prends une bonne heure pour m’imprégner des lieux et visiter les moindres recoins puis je rejoins mon taxi. Je serais bien resté toute la journée mais je sais qu’il y a encore de nombreux sites à visiter donc je tâcherai de conserver ces souvenirs dans ma mémoire à l’aide des photos prises et de ce récit de voyage et, qui sait, peut-être que j’y reviendrais un jour ?
Mon chauffeur fait demi-tour et nous quittons la route principale d’où nous étions venus pour nous enfoncer en plein cœur d’un massif montagneux qui était sur notre côté gauche en venant à l’aller. Cette route est magnifique et je me mets à rêver de la parcourir un jour à moto car elle a de larges virages et de grandes lignes droites au plus près des montagnes majestueuses avec aucune habitation et très peu de véhicules qui la parcourt. Je prends beaucoup de photos par la fenêtre passager et je demande également à mon chauffeur de s’arrêter de temps en temps pour pouvoir en prendre depuis l’extérieur du véhicule.
Sur la route vers le site de Tchak Tchak
Nous arrivons au bout de cette chaîne de montagne et nous empruntons une route qui nous mène au pied d’une montagne de roche à la pente abrupte et vertigineuse où se trouve le site de Tchak Tchak avec un temple du feu qui est l’un des lieux les plus sacrés de la religion zoroastrienne. Comme pour le précédent temple que j’avais visité à Yazd, il représente peu d’intérêt décoratif ou architectural à mes yeux avec un simple feu que l’on peut observer à travers des grilles et les bâtiments tout autour sont en béton. Il n’y a quasiment personne mais apparemment c’est un important lieu de pèlerinage zoroastrien donc des logements sont prévus à cet effet. Néanmoins, les nombreuses terrasses en accès libre sur les toits des habitations offrent un beau panorama sur la vallée et les montagnes. Je passe donc presque une heure sur ce site en me promenant sur les terrasses et en accédant à une plateforme rocheuse à proximité qui permet d’avoir une vue d’ensemble sur le village et les montagnes.
Le site zoroastrien de Tchak Tchak
Ensuite, nous nous éloignons du massif rocheux pour retourner sur le grand plateau et nous faisons quelques arrêts visites d’un caravansérail et d’un château mais sans grand intérêt pour moi après tout ce que j’ai pu voir donc je ne m’attarde pas beaucoup. Le dernier arrêt est plus original car il s’agit d’une grande tour sans fenêtre dont l’intérieur est recouvert de nid individuel pour des pigeons afin de collecter leurs excréments pour produire des fertilisants. L’architecture intérieure avec sa compilation de nid creusé dans le mur est très différente de ce que j’ai pu voir.
La tour aux pigeons
Nous rentrons en début d’après-midi et je reste dans ma chambre pour me reposer ainsi que pour avancer dans la rédaction du blog que j’avais délaissé pendant quelques jours à Chiraz. Puis, en fin d’après-midi, je cherche un café ou un restaurant ayant une télévision pour regarder le match de football opposant l’équipe d’Iran à l’équipe d’Angleterre. Je trouve un restaurant kebap qui diffuse le match mais, malheureusement pour l’Iran, l’équipe d’Angleterre est en pleine forme et ses multiples assauts offensifs alourdissent le score du match. Espérons qu’ils pourront faire mieux pour les deux prochains matchs !
Je rentre à l’auberge avant la fin du match et je profite de la bonne connexion internet pour appeler un ami et publier un nouvel article sur mon blog.
Demain, je partirai pour la ville de Kerman avec l’objectif de découvrir le fameux désert du Lut, à suivre dans le prochain article !
Le matin, je me lève assez tôt car un long trajet m’attend en bus et je m’embrouille un peu dans les horaires entre les deux gares routières de la ville d’Ispahan. Je vais à celle du nord où j’étais arrivé en provenance de Kashan et d’où partent les bus pour Chiraz mais, finalement, ils font un arrêt à la gare routière du sud d’Ispahan donc j’aurais pu faire un trajet plus court en bus.
Le paysage qui défile sous mes yeux depuis la vitre est à nouveau désertique avec la route principale qui traverse le milieu d’un large plateau bordé de chaque côté par des chaînes de montagnes aux formes tranchantes. J’aperçois également plusieurs anciennes murailles de terre en ruine le long de la route dont je suppose que certains étaient d’anciens caravansérails. Nous croisons peu de villes ni même de villages sur la route de près de cinq cents kilomètres alors que c’était assez fréquent en Turquie, même dans les régions moins peuplées, et, en effet, l’Iran a une densité deux fois inférieure à celle de la Turquie (qui est assez proche de la France) pour une population totale quasiment équivalente. L’Iran est un pays très étendu, sa superficie est trois fois supérieure à la France métropolitaine pour seulement environ vingt millions d’habitants supplémentaires.
Nous arrivons en fin de journée alors qu’il fait nuit dans la ville de Chiraz après quasiment sept heures de trajet dont une pause déjeuner. Un de mes voisins de bus avec qui j’ai sympathisé me propose d’aller ensemble au métro pour me montrer le chemin. Je le suis donc et nous arrivons sur la seule ligne de métro de la ville mais qui est très étendue et encore une fois propre et moderne. Je remercie mon escorte en descendant à mon arrêt puis je me dirige dans le centre-ville historique où l’on m’a conseillé une auberge. Malheureusement, elle est fermée mais j’en trouve une autre assez facilement sur internet qui a de bons avis et qui est assez proche. Cette fois-ci, c’est bon, elle est bien ouverte et je peux enfin déposer mon sac dans le dortoir. Je file aussitôt pour marcher un peu en ville afin de m’aérer l’esprit après ce long trajet en bus et aussi pour trouver quelque chose à manger.
Je commence par visiter le sanctuaire Shahcheragh qui est situé en plein centre-ville à proximité de mon auberge. Il est ouvert le soir aux fidèles et on me laisse également entrer pour visiter ce lieu qui est très fréquenté. L’intérieur de la mosquée est recouvert de multiples petits morceaux de miroirs comme dans tous les sanctuaires chiites que j’ai visités en Iran. La beauté et la quiétude du sanctuaire ont été malheureusement ensanglantés par une terrible attaque terroriste il y a quelques semaines qui a coûté la vie à une dizaine de personnes. Des prières ont lieu régulièrement sur place en l’honneur de ces victimes avec des photos de leur portrait.
De retour à l’auberge, je discute avec un voyageur tchèque qui est venu plusieurs fois en Iran et qui vient rendre visite à des amis iraniens tout en découvrant des sites qu’il n’avait pas encore vus. C’est sa dernière soirée à Chiraz avant de partir vers le nord de l’Iran.
Jour 59 (15/11/2022)
Aujourd’hui, je prévois toute la journée pour visiter les principaux monuments de la ville de Chiraz et le lendemain, je compte visiter le site historique de Persépolis qui est à une cinquantaine de kilomètres.
Je visite une nouvelle fois le sanctuaire Shahcheragh, ce qui me permet d’admirer dans certaines salles de prière, les couleurs et les motifs des vitres qui se reflètent sur les minuscules morceaux de miroirs incrustés sur les murs et au plafond : c’est magnifique.
Salle de prière dans le sanctuaire Shahcheragh
Le spectacle des lumières n’est pas fini car je me rends ensuite à la Mosquée Nasir-ol-Molk (ou également appelée « la Mosquée Rose ») qui est très connue pour ses vitres colorées dont les motifs et les couleurs se reflètent au sol grâce à la lumière du soleil. C’est une technique de décoration similaire à ce que j’avais vu dans une riche demeure de la ville de Kashan et il me semble que c’est très spécifique à l’art iranien. Dans cette mosquée, cet art est utilisé à large échelle dans une grande salle dont un côté entier est formé d’arches à colonnes en pierre dont les ouvertures sont recouvertes de vitres colorées soutenues par une armature et des portes en bois. Le dédoublement des décorations sur les tapis est grandiose et j’y reste une bonne demi-heure pour admirer chaque ouverture sous les arches qui a ses motifs et coloris qui lui sont propres.
Mosquée Nasir-ol-Molk
A l’extérieur de cette pièce, il y a une cour qui a également de très belles colorations murales sur le thème des roses, c’est décidément un lieu très poétique.
Dans la cour intérieure de la Mosquée Nasir-ol-Molk
Ensuite, je continue mon cheminement à pied pour rejoindre un jardin d’orangers dans une ancienne et riche habitation qui est désormais un musée. Dans le petit palais au bout du jardin, on peut contempler des peintures sur bois au plafond avec de jolies balustrades et toujours des miroirs. Je remarque qu’il y a un peu plus de touristes à Chiraz que dans les autres villes iraniennes avec une proportion importante de russes.
Jardin de l’Orangerie
La suite est moins idyllique mais aucune ville n’est parfaite 😊 En effet, comme à Ispahan, la rivière asséchée nous laisse voir son triste lit de pierres et le bazar de Chiraz n’a pas non plus beaucoup d’intérêt architectural à mes yeux, la référence restant pour moi celui de Tabriz de par sa taille et sa beauté.
Après ma pause déjeuner, je découvre un nouveau sanctuaire qui est accessible au public non croyant dans une zone délimitée mais toujours gratuitement. Je suis accueilli par une croyante dénommée Fatima qui s’occupe des touristes étrangers, nous discutons un peu de la religion chiite et des pèlerinages notamment. Fatima m’explique également autour d’une tasse de thé que l’utilisation des petits morceaux de miroirs dans les sanctuaires est à la fois pour rendre hommage au martyr en illuminant le lieu à sa mémoire mais aussi pour faire preuve d’humilité de la part des croyants en évitant qu’ils admirent leur reflet dans les miroirs.
A proximité, se trouve un mausolée cette fois-ci dédié à un célèbre poète perse du quatorzième siècle dénommé Hâfez et originaire de la ville de Chiraz. Un tel monument pour un poète, c’est rare, et il y en a même deux à Chiraz avec celui du poète Sa’adi. Cela montre l’importance de la poésie persane dans la culture iranienne et encore de nos jours. L’édifice est assez sobre avec une simple coupole soutenue par des colonnes qui entoure la tombe du poète situé en haut d’un autel accessible par de larges marches. Le site est grand malgré tout avec un jardin, des boutiques souvenirs et une bibliothèque qui attire ma curiosité d’amateur de lecture.
Je décide d’entrer pour découvrir les livres qui s’y trouvent et je me retrouve face à de jeunes étudiants studieux qui sont attablés pour travailler dans ce lieu propice à la concentration. J’essaye de me faire discret en m’approchant des rangées de livres mais mon visage d’occidental ne passe pas inaperçu surtout avec mon regard qui balaie dans tous les sens cette salle inconnue et une jeune femme s’adresse à moi en anglais, me demandant ce que je fais ici. Je lui réponds à voix basse que j’étais simplement curieux de voir cette bibliothèque, un peu gêné de déranger mais elle me propose gentiment de me montrer quelques étagères de livres en m’indiquant les principaux genres littéraires et auteurs qui s’y trouvent. Nous sommes rapidement rejoints par une dame de l’accueil qui semble ravie de la présence d’un touriste étranger et nous échangeons tous les trois quelques minutes grâce à la traduction de ma guide. Elle s’appelle Sheida et elle suit des cours de graphiste. Nous sympathisons avec Sheida et nous nous proposons de nous revoir le lendemain en fin d’après-midi dans un jardin à proximité.
En ressortant de la bibliothèque, je cède à la tentation d’acheter un livre avec des poèmes de différents auteurs perses, ce qui est en contradiction totale avec mes efforts d’alléger mon sac mais mon insatiable curiosité l’emporte pour en savoir plus sur ces “lettres persanes” qui font visiblement partie de la culture de l’Iran et bien que je ne sois pas un grand amateur de poésie.
Mausolée Hâfez
En cette fin d’après-midi, je décide de prendre de la hauteur sur une colline à proximité où j’ai repéré depuis la ville quelques monuments sur le sommet donc je suppose qu’ils sont accessibles à pied. En effet, en m’approchant, je découvre des escaliers puis un chemin peu fréquenté qui permet de rejoindre ces monuments et d’avoir une vue à la fois sur les montagnes et sur la ville de Chiraz. Cela me fait penser à la vue sur Grenoble depuis le fort de la Bastille. Je profite du lieu pour faire une pause lecture de mon nouveau recueil de poèmes afin de m’imprégner davantage de la culture locale. Le soleil finit par se coucher en colorant les montagnes et les nuages d’un mélange rose orangé pour conclure cette journée décidément riche en couleurs et en poésie !
Vue sur Chiraz et les montagnes autour au coucher du soleil
Puis, je rentre à l’auberge à la tombée de la nuit en prenant au passage un sandwich crudités avec des falafels qui est une alternative bien appréciée au traditionnel kebap à base de pains et de viandes.
Je retrouve Raju qui vient d’arriver d’Ispahan ainsi qu’un nouveau voyageur russe que l’on peut surnommer « Zon » si je me souviens bien. Nous sommes tous les trois intéressés pour visiter le site de Persépolis qui se situe à une cinquantaine de kilomètres et nous nous mettons d’accord pour louer ensemble un taxi le lendemain. Gijs devrait nous rejoindre à l’auberge le lendemain en passant également par Persépolis, peut-être nous le croiserons.
Jour 60 (16/11/2022)
Ce matin, nous partons en ville avec Raju et Zon à la recherche d’un taxi pour visiter Persépolis alors que le tarif proposé par l’auberge nous semble élevé. Nous nous mettons d’accord avec un premier chauffeur dont Zon avait récupéré le contact mais, en l’attendant, nous trouvons un autre chauffeur qui propose un tarif plus bas donc nous annulons avec le premier, un peu gêné pour ma part. Après une pause petit-déjeuner sur la route où nous avons quelques difficultés de communication avec le gérant du café qui nous parle en nombre d’œufs alors que nous parlons en nombre d’omelettes nous finissons par rejoindre Persépolis sur les coups de midi.
Là encore, nous avons quelques problèmes de communication pour obtenir les tickets d’entrée au bon tarif (ce n’est pas le même pour les touristes étrangers et les iraniens) et nous finissons par arriver sur le site alors que le soleil est à son zénith et qu’il y a très peu d’ombre.
La superficie de Persépolis est très grande mais, comme dans la plupart des sites antiques que j’ai visités, il y a peu de structures qui ont survécu au temps et surtout aux hommes. Concernant Persépolis, c’est surtout l’incendie ordonné par Alexandre le Grand en représailles de celui d’Athènes par les armées Perses qui a causé le plus de dégâts. Il reste néanmoins quelques colonnes et des fondations de murailles pour se rendre compte de la grandeur de l’empire perse à l’époque mais, le plus intéressant, ce sont des escaliers monumentaux en pierre avec des gravures bien conservées de combats d’animaux et de personnages en procession représentant les différentes provinces et les sujets de l’empire venant rendre hommage au roi perse lors du nouvel an perse (« Norouz ») au premier jour du printemps, le 21 mars.
Il y a également des tombeaux des derniers rois de l’empire perse qui sont creusés directement dans la roche sur les hauteurs du site. Au-dessus de la porte accédant au tombeau, on peut apercevoir le symbole de la religion zoroastrienne sous forme d’un vieux sage barbu tenant dans sa main gauche un anneau et ayant de grandes ailes de chaque côté. Le zoroastrisme était la religion de l’empire perse avant la propagation de l’islam avec l’arrivée des arabes, je pourrai vous en dire plus lors de la visite de la ville de Yazd et de sa région qui abritent encore une communauté significative de croyants.
Persépolis
Pendant la visite, nous retrouvons Gijs qui est arrivé en moto depuis la ville de Yazd et qui se rend ensuite à notre auberge dans la ville de Chiraz. Il arrive assez souvent à négocier une baisse du tarif d’entrée dans les monuments en indiquant qu’il est étudiant et, par amusement, nous décidons de négocier également le prix d’entrée pour la visite d’autres tombeaux des rois perses (notamment les plus connus Darius et Xerxès), situés à cinq kilomètres de Persépolis. Nous argumentons auprès du gardien que le tarif nous semble trop élevé car il est identique à celui de Persépolis alors qu’il y a bien moins de choses à voir. Le gardien refuse mais, lorsque nous faisons mines de rebrousser chemin, il accepte finalement de diviser par deux le tarif avec un grand sourire, beau joueur. Bien que le site soit plus petit, il vaut le détour pour ses sépultures monumentales creusées à même la roche avec au-dessus de la porte d’entrée toujours le symbole ailé du zoroastrisme et, au-dessous, une procession de personnages représentant les différentes provinces de l’empire qui portent en triomphe le roi perse au-dessus de leurs têtes. Plus bas également, au niveau du sol, il y a des gravures dans la roche de célèbres batailles remportées par les rois perses en mettant en avant leur cavalerie.
Nécropole royale de Naqsh-E Rostam
De retour à Chiraz, je retrouve comme prévu Sheida en fin d’après-midi dans un jardin public à proximité du mausolée de Hâfez où nous discutons de nos vies respectives et également de l’Histoire et de la culture de nos deux pays.
A la tombée de la nuit, je rejoins Gijs et Raju à l’auberge pour faire des courses à proximité et préparer le dîner dans la cuisine. Au menu : très bonnes omelettes aux champignons et tomates avec des pommes de terre, du fromage et des concombres.
Les omelettes maisons: un régal! (Raju à gauche, Gijs à droite)
Jour 61 (17/11/2022)
Pour ce jour, je n’ai pas prévu grand-chose si ce n’est de me renseigner sur les possibilités de me rendre plus au nord dans les montagnes avant de repartir à l’est vers la ville de Yazd qui sera ma prochaine étape. Sinon, l’itinéraire classique me ferait reprendre dans le sens inverse une bonne partie de la route qui m’avait mené de Ispahan à Chiraz. Et surtout, je sens l’appel de la montagne, du grand air, des espaces et des hauteurs avec des points de vue panoramiques. Le fait d’apercevoir les chaines de montagnes depuis la route m’a donné envie de m’en rapprocher pour les découvrir. Donc je vais dans plusieurs gares routières de Chiraz afin de chercher une ligne de bus qui pourrait m’y emmener. Malheureusement, on me répond à chaque fois qu’il n’y en a pas et qu’il faut prendre un taxi mais le tarif est élevé car il y a au moins deux cents kilomètres à parcourir. Je pourrais probablement tenter de faire du stop comme certains voyageurs mais cela me parait un peu trop ambitieux. Je me renseigne donc sur les tarifs de taxis collectifs appelés « savari » vers une destination plus proche en me disant que je pourrais éventuellement y aller à la journée avec Raju et Gijs s’ils sont motivés.
Ces recherches m’ont fait parcourir la ville du sud au nord et m’ont au moins permis de me rendre compte qu’il y a beaucoup de jardins et parcs publics dans la ville de Chiraz et, encore une fois, que les iraniens sont très aimables pour m’aider à trouver mon chemin, m’offrant parfois le trajet en bus.
Je retrouve à nouveau Sheida en fin d’après-midi pour continuer nos échanges dans un parc public à proximité de la bibliothèque du Mausolée de Hâfez où elle étudie, cela nous permet de partager davantage sur nos histoires personnelles et familiales avec nos réussites et nos échecs et de confronter nos avis. Puis, à la tombée de la nuit, je retourne à l’auberge pour dîner avec Raju et Gijs où nous commençons à avoir nos petites habitudes au marché et dans la cuisine.
Raju n’étant pas trop motivé pour faire une randonnée le lendemain, j’abandonne l’option du taxi collectif et je propose à Gijs de suivre un chemin dans des montagnes que j’ai repéré sur internet et qui est accessible à pied depuis le terminus de la ligne de métro. J’aurais préféré allez plus loin dans les montagnes et y rester plus longtemps mais ce devrait être déjà une bonne sortie et c’est plus simple à organiser.
Jour 62 (18/11/2022)
Aujourd’hui, c’est donc l’expédition randonnée sur le mont Derak avec Gijs. Après un petit-déjeuner copieux nous prenons le métro pour aller jusqu’au terminus au nord de la ville. J’emporte avec moi mes bâtons de randonnée car il devrait y avoir un peu de dénivelé. Nous ne prenons pas d’eau en pensant naïvement pouvoir en trouver facilement sur le chemin mais, à la sortie de la station de métro, nous ne trouvons pas de magasins ouverts (c’est vendredi) et nous décidons malgré tout de continuer sans connaitre la difficulté ni la longueur du parcours. En temps normal je ne l’aurais pas fait car je suis un grand buveur d’eau mais je suis trop impatient de gravir cette montagne loin du tumulte de la ville et le temps est plutôt frais.
Le point positif c’est que nous croisons d’autres randonneurs donc nous sommes sur le bon chemin et on peut facilement y accéder depuis le métro sans prendre de risque en traversant la route avec un pont puis un tunnel aménagés pour les piétons. La pente est assez douce pour le début du parcours puis elle se raidit fortement à un croisement de chemins et le terrain devient plus accidenté mais la vue sur les roches jaunes plongeant vers nous est impressionnante : ça y est, on est à la montagne ! Nous empruntons un chemin qui fait de nombreux lacets dans une pente raide afin de monter plus vite au sommet et redescendre par une pente plus douce. Nous ne passons pas inaperçus avec nos chevelures claires et plusieurs groupes de marcheurs nous souhaitent la bienvenue en Iran avec un grand sourire, agréablement surpris de nous voir ici.
La montée vers le mont Derak
On sent que les gens sont détendus et heureux de prendre l’air à la montagne, certains se lâchent en criant ou en chantant et d’autres leur répondent en écho parfois du versant opposé, c’est très amusant. Par contre, la pente est bien plus raide et le dénivelé à gravir bien plus important que nous ne le pensions. Nous mettons quasiment deux heures pour arriver au sommet et la soif se fait sentir cruellement quand nous arrivons à une plateforme qui relie notre chemin à celui qui a une pente plus douce pour redescendre. Il y a des cabines de toilettes et je pose une question faussement innocente s’il y a de l’eau potable à un randonneur ayant un grand sac à dos qui se désaltère devant la vue panoramique. Il me répond que non mais en grand prince persan il nous fait don d’une bouteille d’eau et d’une pomme grenade. Nous le remercions vivement et nous savourons chaque gorgée d’eau et chaque graine du fruit, c’est très rafraichissant. A proximité de la plateforme, légèrement plus bas, il y a deux petites pièces en béton qui peuvent servir de refuges ou de salles de picnic avec des tapis au sol.
On l’a fait!
La descente est plus rapide et bien plus facile après nous être désaltérés, nous croisons encore de nombreux iraniens en ce jour de week-end, visiblement la randonnée est populaire.
En arrivant devant la station de métro, nous achetons aussitôt de l’eau et un jus de fruit dans un kiosque et nous nous félicitons de cette belle marche qui a duré plus de trois heures pour probablement six cents mètres de dénivelé positif.
Ensuite, je retrouve à nouveau Sheida en fin d’après-midi dans le même parc proche du Mausolée de Hâfez. Nous avons bien sympathisé et nous avons pris goût à nous retrouver quotidiennement pour discuter de tout et de rien même si ce sera la dernière après-midi car je compte partir le lendemain pour la ville de Yazd. Nous devenons des habitués dans ce jardin public et c’est l’occasion pour moi d’observer les gens tout comme ils m’observent par curiosité pour la nouveauté, l’inconnu. Il y a des passants de tous les âges, certains discutent simplement en marchant ou en étant assis sur un banc, d’autres font un picnic sur un tapis, plusieurs jouent au volley, au badminton ou font du vélo et certains se déplacent même en moto en roulant doucement et sans casque, d’un air paisible. Assez souvent nous sommes interrompus dans notre conversation avec Sheida par des inconnus, généralement des hommes seuls, qui sont curieux de savoir qui je suis et bien souvent ensuite ils nous racontent leur propre histoire, sans doute heureux d’avoir un auditoire international. C’est à la fois déroutant et amusant pour moi car cela leur semble tout naturel de s’adresser à des inconnus et voir même de couper une conversation alors que je doute que cela aurait lieu dans un jardin public en France, il semble y avoir moins de barrières virtuelles entre les gens en Iran pour s’adresser l’un à l’autre.
Puis, comme d’habitude, mais cette fois-ci pour la dernière fois, je rentre à l’auberge à la tombée de la nuit après avoir fait mes adieux à Sheida pour prendre un dernier dîner ensemble avec Raju et Gijs avant que nos chemins se séparent le lendemain.
Début du jour 63 (19/11/2022)
De bon matin, je vais chercher du pain avec Gijs dans l’une des nombreuses boulangeries du quartier. Nous en connaissons deux sortes et nous optons pour notre préféré avec une pâte plus épaisse. La pâte à pain est mise sous forme rectangulaire légèrement arrondie sur les angles puis étalée directement sur des cailloux chauffés par un four. En ressortant le pain une fois cuit, il faut faire attention à bien retirer tous les cailloux restés collés au pain sous peine de perdre une dent ! Le résultat est savoureux et il accompagne très bien nos œufs sur le plat avec des morceaux de tomates.
Après le petit-déjeuner nous nous serrons la main chaleureusement avec Gijs et Raju en se souhaitant une bonne continuation de voyage. De mon côté, je pars à la gare routière pour prendre un bus avec pour destination la ville de Yazd. Comme j’ai un peu de temps avant le départ du bus, j’en profite pour aller chez un coiffeur barbier qui est installé dans la gare routière. Alors le résultat capillaire n’est plus la coupe Tintin mais je ne sais pas trop comment l’appeler, avis aux suggestions ! 😉
Mon bus arrive dans la gare routière située au nord d’Ispahan en tout début d’après-midi. Comme à Téhéran, elle est directement reliée à une station de métro moderne qui a une bonne fréquence de passage, ce qui me permet d’arriver rapidement dans le centre-ville.
Ensuite, je continue à pied pour rejoindre mon auberge de jeunesse qui fait partie du même groupe que celle de Téhéran, Hostel Heritage, et elle est tout aussi agréable et bien située. Sur le chemin, je découvre l’immense place de Ispahan appelée Naghsh-e Jahan (cf photo de couverture et ci-dessous) qui rassemble les monuments les plus importants de la ville avec deux grandes et belles mosquées, un palais et elle est également juxtaposée au bazar de la ville.
En arrivant à l’auberge, je retrouve avec plaisir des visages connus, à savoir Gijs et Raju qui sont arrivés la veille. Je pars ensuite me promener au hasard dans la ville tant qu’il fait jour mais le ciel est couvert de nuages gris et je suis un peu nostalgique des bons moments passés dans la petite ville de Kashan où l’on pouvait se promener facilement et au calme. La ville de Ispahan est bien plus grande avec beaucoup de circulation. Heureusement, il y a de grandes places avec des jardins et de longs chemins piétons mais mon humeur devient maussade comme un effet miroir de la météo. Peut-être qu’il me faut aussi un peu de temps pour faire la transition avec les émotions fortes que j’ai vécues à Kashan.
De plus, lorsque j’arrive au bord de la rivière Zayandeh pour admirer des anciens ponts en pierre, je découvre qu’elle est complètement asséchée alors qu’elle est très large, cela donne un aspect désolant qui n’aide pas pour me changer les idées. En effet, en me renseignant sur internet, il semble que c’est dû à la fois aux grandes sécheresses dans la région et également au fait que la rivière a été détournée pour alimenter une autre région en eau. On voit encore des pédalos en forme de cygnes qui sont échoués à terre, sans aucune utilité, cela me fait penser à la sécheresse que nous avons vécu cet été en France et j’espère que nous n’aurons pas ce même phénomène mais les signaux sont malheureusement inquiétants.
Le pont Si-o-se Pol de Ispahan avec la rivière Zayandeh asséchée
Sur le chemin du retour, je passe devant une boulangerie moderne et bien achalandée où je remarque des croissants et des chocolatines (et oui, j’ai vécu dans le sud-ouest !). Je ne résiste pas à la curiosité d’en goûter car ces viennoiseries ont l’air appétissantes mais, malheureusement, je trouve la pâte trop sablée et cela me donne l’impression que la chocolatine est légèrement rassis donc j’attendrais sans doute de rentrer en France avant de réessayer…
En rentrant à l’auberge, je croise Gijs qui part faire des courses pour se cuisiner un dîner donc je lui propose de me joindre à lui. Nous avons tous les deux une forte envie de légumes car nous en trouvons peu dans les restaurants qui servent surtout des viandes et du pain. Ainsi, nous achetons des oignons, des aubergines et des tomates dans le but de nous faire une ratatouille maison. J’y ajoute des carottes pour l’entrée et nous achetons du pain et un petit dessert dans une boulangerie. Ce repas sain et équilibré nous fit beaucoup de bien puis nous prîmes un thé en discutant avec d’autres locataires.
Ensuite, je me consacre à la rédaction du blog afin d’écrire tant que mes souvenirs de Kashan sont encore bien présents dans ma mémoire et c’est l’occasion également de se replonger avec plaisir dans ces bons moments de partages et de découvertes.
Jour 57 (13/11/2022)
Le lendemain matin, le soleil est de retour avec un grand ciel bleu et mon moral est meilleur. Après un copieux petit-déjeuner pris au buffet de l’auberge avec Gijs et Raju, je décide de profiter de la lumière du soleil pour visiter les monuments importants de la ville sur la grande place Naghsh-e Jahan. Je commence par la mosquée du Cheikh Lotfallah qui était principalement à l’usage privé du roi d’Iran. Les décorations sont une nouvelle fois somptueuses et fidèles à l’art persan avec des motifs variés et raffinés, des couleurs joyeuses, chatoyantes. C’est de l’art !
Mosquée du Cheikh Lotfallah
La mosquée du Shah, située sur la même place au sud à une centaine de mètres est tout aussi magnifique et encore plus grande, et à l’usage de tous les fidèles. Je prends mon temps pour admirer ces coupoles sous tous les angles, quitte à me tordre le coup. Un gardien du site m’explique que si je me positionne à un endroit précis au centre de la mosquée que l’on peut identifier par une pierre noire, alors le son de ma voix est amplifiée dans toute la salle, c’est très impressionnant.
La mosquée du Shah, sur la photo de gauche on peut voir la pierre noire au sol qui indique l’endroit central où le son de la voix est amplifié
Par contre, il y a peu de touristes donc les commerçants et les guides touristiques sont à l’affût et je suis fréquemment sollicité mais je refuse poliment puis je finis par ne plus répondre lorsque l’on m’interpelle en me demandant en anglais d’où je viens. Je visite ensuite le palais Ali Qapu à proximité mais il présente moins d’intérêt architectural si ce n’est une grande terrasse en hauteur qui donne un beau point de vue sur la place immense de Ispahan.
Ensuite, j’erre au hasard dans le bazar et je découvre d’autres places de la ville plus au nord dans des quartiers plus anciens. Je rentre à l’auberge en début d’après-midi et je décide d’annuler ma troisième nuit prévue à Ispahan pour partir dès le lendemain vers la ville de Chiraz. En effet, j’ai l’impression d’avoir fait le tour des principaux lieux à visiter et je n’ai pas très envie de rester plus longtemps.
Je retrouve Gijs et Raju à l’auberge et je leur propose de jouer aux cartes sur la pelouse de la grande place Naghsh-e Jahan qui est très agréable et où d’autres iraniens se retrouvent aussi pour discuter ou prendre un picnic. C’est l’occasion de leur faire découvrir le jeu du Barbu auquel nous jouons souvent avec ma famille.
Vue sur la place Naghsh-e Jahan en jouant aux cartes
Puis, nous nous baladons à la tombée de la nuit pour découvrir les illuminations de la ville et, cette fois-ci, la vue sur les anciens ponts de la rivière asséchée est bien plus agréable car les éclairages de lumière chaude mettent en valeur ces beaux monuments et l’obscurité couvre le triste spectacle de la terre sèche.
Le pont Si-o-se Pol de nuit, la vue est bien plus belle que de jour
Après un nouveau plat de légumes cuisinés à l’auberge, nous regardons avec Gijs un film iranien sous-titré en anglais qui a eu de bonnes critiques en France et que j’avais demandé au personnel de l’auberge qui me l’a gentiment mis à disposition. Initialement, je pensais aller voir un film iranien au cinéma mais sans les sous-titres cela aurait été difficile de comprendre. J’étais curieux de découvrir des œuvres cinématographiques iraniennes qui ont généralement bonne presse en France afin de mieux découvrir la culture de ce pays et le film fut très intéressant, original et de bonne qualité.
Puis nous nous couchons tôt en vue de notre départ le lendemain, à Yazd pour Gijs et vers Chiraz pour moi tandis que Raju reste un peu plus longtemps à Ispahan.
Le bus nous dépose une nouvelle fois en périphérie de la ville au bord d’un trottoir mais, cette fois-ci, je sais me servir de Snapp donc cela me permet d’avoir une idée du tarif de base afin de pouvoir négocier plus facilement avec un chauffeur de taxi déjà sur place, quitte à payer un peu au-dessus.
J’ai réservé à nouveau une auberge pour rester dans la bonne dynamique de Téhéran et ce sera encore une belle surprise sachant que je savais déjà que j’y retrouverai Gijs et Raju que j’avais rencontré à Téhéran. L’auberge de Kashan est une ancienne grande maison historique qui est très bien conservée : à l’entrée, il y a une belle cour dont le centre est ouvert sur un bassin situé au niveau inférieur et de chaque côté de la cour sont disposés des canapés recouverts de tapis, des tables et des chaises. Puis il y a une cour annexe où l’on peut accéder aux dortoirs de quatre personnes et à la cuisine pour le petit déjeuner , tout cela pour un tarif de 5€ par nuit.
Je dépose mon sac dans mon dortoir qui est vide et je pars vers le centre-ville pour visiter le bazar et dîner. Il fait déjà nuit en ce début de soirée mais Kashan est une petite ville calme d’après le chauffeur de taxi donc je m’autorise à flâner un peu plus tard que d’habitude. A peine ai-je commencé ma promenade que je découvre une mosquée dont la coupole est illuminée en violet et les minarets en vert avec au-dessus la lune, je trouve ce spectacle magique et je verrais bien Aladin traverser le ciel sur son tapis volant. Puis le bazar réserve également son lot de belles surprises avec notamment de très belles cours intérieures richement décorées.
Quartier historique de Kashan de nuit, à proximité de mon hébergement
De retour au dortoir, je fais la rencontre de mon premier voisin qui s’appelle André, de père italien et de mère mexicaine. Il a trente trois ans et il profite d’un emploi saisonnier bien rémunéré en Suisse en tant que cuisinier pour voyager plusieurs mois par an. André a visité de nombreux pays qu’il a parcouru en train, en bus mais aussi en vélo. Il est en Iran depuis trois semaines en commençant par le sud du pays puis il remonte progressivement jusqu’à Téhéran d’où il prendra un avion d’ici une semaine pour l’Italie et ensuite il rejoindra la Suisse afin de reprendre son emploi saisonnier jusqu’au mois d’avril. Son voyage s’est bien passé jusque-là, il a notamment aimé les paysages de désert mais il commence à se lasser de la nourriture locale.
Puis, nous sommes rejoints par Nagi, un jeune japonais de vingt-deux ans qui étudie le persan à l’université de Téhéran pour quelques mois. Alors là, je ne m’attendais pas à une telle rencontre dans ce lieu ! J’avais l’image d’un pays isolé et je tombe sur un étudiant japonais qui apprend le farsi à Téhéran et qui vient passer son week-end ici dans cette auberge. J’adore ce type de rencontre inattendue qui interpelle avec des cas de figure auxquels je n’aurais même pas imaginé qu’ils existent, cela agrandit le champ des possibilités. Nagi nous a expliqué son parcours atypique qui a commencé par son goût qu’il porte à la philosophie combiné à son intérêt pour les cultures du Moyen Orient qui l’ont incité à apprendre le farsi afin de pouvoir lire plus facilement les auteurs perses et accéder à leurs modes de pensées. Apparemment, il y a plusieurs grilles de lecture possibles pour les textes des grands poètes persans donc cela demande une connaissance approfondie de la langue et de la pensée perse afin de pouvoir les déchiffrer.
Nous discutons ensemble de notre programme des prochains jours et, fort heureusement, nous avons des envies similaires avec notamment la découverte d’un désert de sel et surtout d’un désert de sable avec des dunes, le désert de Maranjab, donc nous pourrons faire cette sortie ensemble et à des tarifs plus avantageux.
Jour 54 (10/11/2022)
Après un bon petit déjeuner copieux à l’auberge, nous nous mettons d’accord avec André, Nagi ainsi que Renatto, un brésilien qui est dans la même auberge, pour s’inscrire ensemble à un tour proposé par l’auberge qui inclus la découverte du désert du Maranjab ainsi que la visite de quelques lieux touristiques sur la route. Raju prévoit de continuer sa route vers Ispahan et Gijs pense peut-être se rendre par ses propres moyens au désert en moto avant de rejoindre Ispahan.
Nous profitons donc de notre matinée de libre avec André et Nagi pour visiter le centre-ville, notre trio international un peu atypique ne passe pas inaperçu et surtout Nagi lorsqu’il s’exprime en farsi à la surprise des locaux. Nous déambulons dans l’immense bazar qui a de multiples anciens caravansérails plus ou moins bien rénovés mais c’est toujours un plaisir de s’y promener.
Cour intérieure du bazar de Kashan, très bien entretenue
Ensuite, nous retournons dans le quartier de notre auberge où de grandes et riches demeures d’anciens notables et commerçants peuvent désormais se visiter. Sur notre chemin, nous sommes interpellés par trois jeunes garçons d’une dizaine d’années qui nous font des signes de la main et nous parlent en farsi. Nagi nous explique qu’ils nous demandent de jouer au foot avec eux et nous acceptons avec amusement même si nous n’avons pas vraiment les vêtements et les chaussures adaptés. Ce sera donc l’équipe de foot d’Iran contre le reste du monde avec notre trio représentant trois continents. Les jeunes iraniens ne se laissent pas impressionnés par notre âge ni par notre taille et ils se dépensent sans compter en courant dans tous les sens pour nous dribbler, se faire des passes, défendre et attaquer. De notre côté, nous jouons franchement tout en évitant de se blesser mutuellement. La partie se révèle finalement assez équilibrée même si nous parvenons quand même à maintenir un écart de buts suffisants tout au long de la partie. Chacun se démène et nous commençons à transpirer à grande goutte sans un soleil de plomb. L’ambiance est bonne, on se chambre gentiment avec parfois des débats de chroniqueurs sur certains buts litigieux ou refusés soi-disant injustement mais, en l’absence d’arbitrage, nous arrivons malgré tout à nous mettre d’accord. Les jeunes garçons ne manquent pas de s’esclaffer lorsqu’ils parviennent à nous faire un petit pont avec nos grandes jambes et c’est de bonne guerre. Au bout d’une cinquantaine de minutes avec une dizaine de buts au compteur de chaque côté, on décide de mettre fin à la partie alors que le soleil est à son zénith. Le reste du monde a gagné mais les jeunes n’ont pas démérité et surtout c’était un beau moment de partage. Nous faisons une photo souvenir avant de nous quitter puis nous abandonnons la visite prévue des anciennes habitations pour aller déjeuner avant le départ vers le désert.
L’après match
Nous montons à bord d’un 4 x 4 en début d’après-midi avec un guide et nous commençons par la visite d’une ancienne cité souterraine datant du sixième siècle qui avait été conçue pour se cacher d’éventuels assaillants. C’est assez similaire à des cités souterraines que j’avais visitées en Cappadoce avec d’ingénieux systèmes d’aération et de conservation d’eau potable. Puis, nous visitons rapidement un ancien château en ruine et ensuite un très beau sanctuaire élevé en mémoire d’un saint martyr de l’islam chiite.
Le sanctuaire que nous visitons sur notre route vers le désert
Nous ne nous attardons pas longtemps pour ces visites car nous sommes tous très impatients de découvrir le désert de sel et surtout le désert de dunes du Maranjab sachant que ce sera la première fois pour moi et Nagi. Nous arrivons finalement à l’entrée du parc pour prendre un billet d’entrée puis nous parcourons cinquante kilomètres de piste sur du sable et des cailloux avant de rejoindre un ancien lac salé qui est désormais complètement asséché. La terre est morcelée en plaques dures et à la couleur marron car notre guide nous explique qu’il y a eu de la pluie et du vent récemment et le sel a été recouvert par une couche de sable mais on peut facilement l’apercevoir en grattant un peu la surface.
Photo souvenir sur le lac salé, Renatto est tout à gauche
Puis, sur le retour, nous nous arrêtons à proximité des dunes de sable du désert du Maranjab afin que nous puissions nous y promener pendant une trentaine de minutes juste avant le coucher du soleil. Le spectacle est saisissant avec des dunes de sable fin et de couleur orange qui forment de douces oscillations à perte de vue. Nous rejoignons d’un pas pressé et excités comme des enfants une dune surplombant les autres et, après quelques séances de photos souvenirs, nous nous asseyons tous en silence pour contempler la vue des dunes de sable au coucher du soleil, c’est très apaisant.
Mon premier désert au Maranjab
En retournant à la voiture, nous croisons un petit groupe de dromadaires qui viennent se désaltérer à un point d’eau. Là, je me dis que j’ai déjà parcouru une longue distance depuis Paris en rencontrant ces animaux sauvages en plein désert!
Le groupe de dromadaires se dirigeant vers le point d’eau
De retour en ville, nous faisons quelques courses pour cuisiner ensemble à l’auberge un bon plat de pâtes avec des tomates fraiches, des oignons et des œufs afin de varier les plats et ce fut un régal !
Pasta party à l’auberge!
Jour 55 (11/11/2022)
Pour ce matin, avec Nagi et André nous avons réservé une nouvelle excursion dans le village pittoresque de Abyaneh, situé dans les montagnes à mi-chemin entre Kashan et Ispahan. Il est connu pour ses anciennes maisons en argile et en bois de couleur rouge ocre qui s’insèrent parfaitement dans le paysage et même l’embellit.
Nous faisons d’abord un arrêt dans un ancien jardin royal, le jardin de Fin, qui est à proximité de Kashan et où les rois perses venaient se rafraichir l’été lorsque Ispahan était la capitale du pays. Il y a de nombreux bassins ainsi qu’un hammam et des arbres centenaires. Comme bien souvent, cela porte chance de jeter des pièces de monnaie dans le bassin et, particulièrement pour les examens des étudiants, donc Nagi se déleste de quelques pièces japonaises en espérant que cela fonctionne.
Le jardin de Fin
Exceptionnellement, le temps est couvert dans cette région aride et il y aura même un peu de pluie pendant la visite du village de Abyaneh mais elle est rapidement absorbée par la terre sèche. Le soleil fait des apparitions sporadiques qui nous permettent de pouvoir mieux apprécier la couleur unie du village. En ce vendredi de week-end, il y a de nombreux iraniens qui viennent visiter ce site et ils sont plusieurs à nous demander de quel pays nous sommes originaires et à nous souhaiter la bienvenue en Iran.
Quelques maisons du village d’Abyaneh
Notre guide est également le gérant de notre auberge et il était auparavant professeur en biologie (il continue de donner quelques cours et ce n’est pas la première fois que je rencontre un iranien qui cumule plusieurs emplois). Il nous explique l’histoire du village qui a conservé ses traditions centenaires et qui était auparavant riche avec de grandes demeures dont l’ensemble était protégé par deux forts sur les hauteurs. Il nous montre également que les anciennes portes sont divisées en deux battants indépendants avec chacun un heurtoir en métal dont la forme est spécifique ainsi que le son émit lorsqu’il est utilisé pour toquer à la porte. Celui en forme d’anneau est réservé pour les femmes afin que ce soit une femme qui leur ouvre la porte et celui en forme de bâton est réservé pour les hommes. Je retrouverai plus tard ce type de porte dans des quartiers historiques d’autres villes d’Iran.
Quelques exemples de portes aux deux battans
Puis, nous prenons un peu de hauteur en rejoignant un fort en ruine afin d’avoir une vue d’ensemble sur le village et les montagnes autour.
Vue d’ensemble du village d’Abyaneh au coeur des montagnes
Sur le chemin du retour, notre guide s’arrête devant un monument en l’honneur des combattants iraniens décédés lors de la guerre contre l’Irak qui dura huit ans pendant les années quatre-vingt et qui fut extrêmement meurtrière des deux côtés. On pourrait la comparer à la Première Guerre Mondiale en termes de pertes humaines et il y a de nombreux monuments commémoratifs avec des portraits photos des soldats qui sont morts au combat et qui reçoivent le nom de martyrs ou chahid qui signifie témoin, dans le sens de témoigner de sa foi. Ce monument est exceptionnellement décoré au centre par un avion de chasse iranien fixé en hauteur car notre guide nous explique que plusieurs pilotes étaient issus du village de Abyaneh ainsi que d’un autre village voisin.
Ensuite, nous rentrons à Kashan en début d’après-midi et nous décidons tous les trois d’essayer un restaurant traditionnel dans une ancienne grande demeure de la ville afin de tester de nouveaux plats locaux. Le cadre est très agréable et typique des cours iraniennes avec un grand bassin au milieu qui est entouré de plantes et des tables ainsi que des bancs recouverts de tapis sont disposés tout autour. Les plats sont variés et savoureux pour des prix corrects de mon point de vue même si mes deux compagnons de tablée ne partagent pas le même avis concernant le prix, on s’habitue vite à un coût de la vie peu onéreux.
Le restaurant traditionnel à Kashan
Puis, nous visitons une riche demeure d’un ancien commerçant, il y en a plusieurs de ce type dans la ville de Kashan et de nombreux touristes viennent les visiter. En effet, on ne peut pas s’en rendre compte depuis la rue mais, lorsque l’on rentre par un accès dans une petite rue, on découvre une habitation très spacieuse et luxueuse avec plusieurs cours et de nombreuses salles avec de multiples portes permettant de faire facilement le tour de la demeure. Elle rassemble quasiment tous les types d’architecture que j’ai pu découvrir en Iran jusqu’à présent avec des arches formant une coupole comme dans les bazars, des bassins entourés d’arbres et de plantes, des vitres colorées dont les motifs et les couleurs se dupliquent au sol en s’étirant sous l’effet de la lumière du soleil. C’est magnifique et je sais que la ville de Chiraz est connue pour ce type de décoration donc je devrais heureusement en revoir. Il y a également d’ingénieux systèmes de ventilation et d’aération typiques de l’Iran appelés “tours à vent” (ou Badguir) qui permettent d’attirer et de faire circuler l’air froid dans les parties basses et d’évacuer l’air chaud par le haut en filtrant pour retirer l’humidité. J’en apprendrais sans doute davantage dans la ville de Yazd qui est connue pour ces tours à vent.
Une ancienne habitation d’un riche commerçant à Kashan
Lorsque nous finissons la visite de la riche demeure, il est déjà tard dans l’après-midi donc je décide de rester une nouvelle nuit dans l’auberge où je me sens très bien. André reste également et nous cuisinerons ensemble le reste de pâtes. Cependant, il est temps de nous quitter avec Nagi et nous nous étreignons chaleureusement en nous souhaitant mutuellement le meilleur pour la suite sachant que nous resterons en contact via les réseaux sociaux.
Puis, le lendemain matin, ce sera à mon tour de partir pour la ville de Ispahan alors que André restera encore quelques jours sur place dans ce lieu qu’il apprécie avant de rejoindre Téhéran pour prendre un avion vers l’Italie.
Vous l’aurez compris à la taille et aux nombreuses photos de cet article que ce rapide séjour à Kashan m’a beaucoup plu!