France
Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage
Heureux qui comme Ulysse a vu cent paysages
Et puis a retrouvé, après maintes traversées
Le pays des vertes années
Georges Brassens
Dès que je passe la frontière en franchissant le col du Mont-Cenis, je cherche un endroit où dormir après avoir admiré une dernière fois le versant italien encore ensoleillé. Je voudrais bivouaquer pour ma dernière nuit en solo du voyage avant de retrouver mes proches, j’ai ma tente, mon réchaud, de l’eau et de la nourriture donc il faut juste que je trouve un endroit sympa à l’abri du vent avec une belle vue.
Je m’éloigne de la route principale sur une piste de cailloux mais je n’ai pas de coup de cœur et la zone est balayée par le vent donc je reprends la route. Il est déjà 19h, il ne faut pas que je tarde. J’aperçois au loin un embranchement avec une jolie petite route goudronnée après le lac de rétention du Mont-Cenis qui s’enfonce dans les montagnes.
En arrivant au croisement, un panneau indique qu’il y a un refuge de montagne au bout de la route à environ six kilomètres. Je m’y engage, on verra bien ce qu’il y a au bout. La vue est belle, il y a plein de marmottes qui sortent de leurs terriers pour profiter des derniers rayons de soleil.
J’arrive au refuge situé sur un plateau bien dégagé, il a du cachet et il offre un beau panorama sur les montagnes. En me renseignant auprès du gérant, il reste de la place et la demi-pension n’est pas très chère à quarante euros, je décide donc d’y dormir. Ce sera pour une autre fois le bivouac, un autre voyage. Le gérant de l’auberge, Clovis, est très sympathique, il vient d’ouvrir il y a une semaine et il y restera tout l’été. Quand c’est la saison haute il a un personnel de huit personnes pour environ cinquante couchages et une centaine de couverts. Ce soir, nous sommes à peine six ou sept pensionnaires. Clovis me sert un bon repas français de refuge de montagne : soupe de légumes en entrée, saucisses et polenta en plat, fromages dont la tomme de Savoie qui est succulente et avec du bon pain bien sûr et du vin rouge, ensuite compote de pêche et un morceau de cake en dessert.
On discute avec Clovis du Népal où il a été plusieurs fois, nous avons tous les deux été enchantés par ce pays. Son père également y a été, c’est lui qui a construit ce refuge puis, Clovis et son frère ont repris la suite il y a une dizaine d’années. Pendant l’hiver, Clovis s’occupe des canons à neige de la station de ski du Val Cenis. Un autre pensionnaire nous rejoint, il est belge, la soixantaine et lui aussi a été au Népal et il a également beaucoup voyagé quand il était jeune. On se raconte nos différentes expériences dans les mêmes pays à des périodes différentes, c’est intéressant et je suis bien content de m’être arrêté par hasard dans ce lieu.
J’éprouve de la joie à l’idée de retrouver ma famille et mes amis après tout ce temps loin d’eux mais j’ai aussi un peu d’appréhension pour la suite qui est une grande inconnue et à laquelle je n’ai pas eu trop le temps de réfléchir en vivant pleinement mon voyage.
Ce matin, le ciel est complètement dégagé, je fais une petite boucle de rando pour me dégourdir les jambes après un bon petit déjeuner au refuge. La vue est belle malgré quelques pylônes électriques, je croise à nouveau des marmottes sur le chemin puis, je vois au loin les silhouettes de toute une colonie de chamois sur les hauteurs d’un petit sommet.
Ensuite, je reprends la moto et je fais un rapide arrêt dans une fromagerie rustique en bord de route qui vient tout juste d’ouvrir. La route qui descend le col en lacets devient une piste de ski de la station de Val Cenis en hiver. Je croise de nombreux motards venus profiter de ce beau week-end ensoleillé pour sortir leurs bécanes en groupe et tracer des courbes sur l’asphalte.
Il y a un panneau indiquant une route panoramique permettant de rejoindre la ville de Modane par les hauteurs au pied des petites stations de ski de la région de la Maurienne. Je m’y engage et c’est un régal pour les yeux et une belle introduction pour mon arrivée en France.
Ensuite, je passe Modane, soulagé de ne pas avoir été bloqué par un mouvement de contestation annoncé ce week-end contre le projet de tunnel pour la ligne ferroviaire Lyon Turin.
Je bifurque sur des routes annexes en espérant trouver un bel endroit pour un pique-nique mais je n’en trouve pas et je finis par m’allonger dans un petit parc à l’ombre mais sans point de vue pour prendre un peu de repos après avoir franchi le col du Grand Cucheron sur le massif de Belledonne près de Pontcharra et en étant en vue du massif de la Chartreuse.
Allez, il est temps de retrouver les miens, je monte sur le plateau de la Chartreuse en passant sous le Mont Granier, impressionnant avec ses hautes falaises qui s’effritent à la pointe puis je traverse le massif sur toute sa longueur. Ayant fait mes études d’ingénieur à Grenoble, ce sont des montagnes que j’ai gravies et traversé maintes fois, à pied, à vélo, en raquettes snowboard, parfois au prix de grands efforts physiques et pas toujours sous une météo clémente donc je reste humble face à ces majestueux sommets et je suis bien conscient de la facilité de mouvement que m’offre la moto.
Mon frère Jérémie m’a prévenu qu’il est parti faire une sortie à vélo avec sa compagne Raphaële pour s’entraîner en vue de leur participation à la mythique Etape du Tour de France (distance de 157 kilomètres, élévation cumulée de 4200 mètres) et, dans une montée avant de redescendre sur Saint Pierre de Chartreuse, je les croise tous les deux en plein effort sous le soleil. Leur sourire de joie se mêle à leurs crispations d’efforts et de concentration sur leur visage. Quel plaisir de se retrouver enfin après tout ce temps ! On se rejoint quelques kilomètres plus loin au parking où ils ont laissé leur voiture, c’est comme si nous nous étions quitté la veille, on retrouve facilement nos familiarités, c’est juste que l’on a beaucoup de choses à se raconter !
De retour à la maison de Jérémie et Raphaële, mes parents nous rejoignent avec ma sœur Maud et son copain Ricardo, nous pouvons enfin nous serrer dans les bras et nous voir sans écrans interposés ! C’est comme si c’était hier et pourtant, il s’en est passé des choses depuis que nous nous sommes quittés à Meaux le lundi 19 septembre 2022!
Le lendemain matin, nous faisons une petite randonnée à la montagne du Charmant Som sous un magnifique soleil et la vue est bien dégagée, on peut voir la longue muraille naturelle du Massif de Belledonne et ses sommets enneigés, il y a également le Massif du Vercors avec ses parois rocheuses vertigineuses formant une forteresse naturelle puis les principaux sommets de la Chartreuse : Chamechaude, la Dent de Crolles, le Mont Garnier… Ces trois massifs entourant Grenoble m’ont bien occupé et émerveillé pendant mes années d’étude en hiver comme en été. On peut également apercevoir tout au loin le Mont-Blanc et, en contrebas du Charmant Som, il y a le monastère de la Grande Chartreuse.
Nous reprenons des forces le midi en faisant un bon barbecue dans le jardin tout en buvant du rosé frais à l’ombre des arbres, on est bien, le temps parait suspendu. Ensuite, la plupart font une sieste digestive puis certains essayent de tenir en équilibre sur la slackline, une large sangle tendue entre deux arbres, en avançant le plus loin possible.
A l’heure du goûter, je réunis la famille pour offrir des cadeaux issus des différents pays que j’ai visités pendant ce voyage et nous prenons une photo pour immortaliser ce moment : une écharpe en cachemire pour ma sœur, du vinaigre balsamique de Modène pour Ricardo et à tous les deux des baguettes en bois du Cambodge que ma sœur a mis dans ses cheveux pour la photo, une peluche de kangourou pour Lou, une coiffe colorée du peuple des Kalash (cf mon article sur cette vallée au nord du Pakistan), des étuis d’Australie pour tenir une bière tout en la conservant au frais et en masquant l’étiquette d’alcool pour Jérémie et Raphële ainsi que des écharpes de bienvenues offerts par les Kalash quand j’ai visité leurs villages, un collier de pierres colorées en turquoise que j’ai acheté à Peshawar tout proche de l’Afghanistan pour ma mère et un béret en laine à bourrelets appelé pakol pour mon père qui est le couvre-chef traditionnel de l’ethnie des pachtounes, très utilisé dans le nord-ouest du Pakistan et en Afghanistan. Enfin, je porte un turban orange qui m’avait été offert en Inde dans le Rajasthan quand j’avais pris un autostoppeur à moto et j’ai également le t-shirt du tour des Annapurna. Il manque un objet souvenir de la Turquie, de l’Iran et du Viêtnam, je n’ai pas pensé à en acheter et j’avais un coquillage de Nouvelle Calédonie dans ma poche que j’ai oublié de montrer sur la photo. Il manque aussi Samuel et Amélie pour compléter cette réunion de famille, nous nous reverrons heureusement bientôt tous ensemble cet été.
En fin d’après-midi, nous allons au “parc” de la commune du Sappey-en-Chartreuse, il y a un square avec des jeux pour enfants, un terrain multisports sur du macadam, un terrain de foot sur herbe et un petit skate parc. Tout cela au milieu des montagnes de la Chartreuse avec des prairies tout autour et quelques habitations dispersées, c’est un endroit idyllique pour élever ses enfants. Souane se sent pousser des ailes sous les encouragements de sa famille en réussissant à pédaler sur son vélo sans aides : bravo ! Ma nièce est prête à suivre les traces de ses parents 🙂
Après tous ces efforts physiques, on se sustente le soir autour d’une bonne fondue au fromage arrosée de vin blanc et accompagnée avec du Champagne : quel plaisir d’être de retour au pays avec ses proches 🙂
Le lendemain, après un bon déjeuner dans un restaurant, nous nous séparons. Je pars à moto en direction de la capitale mais d’abord je vais faire une étape sur la route à Visargent dans la maison de campagne de mon oncle Philippe et sa femme Monique qui m’avaient accueilli à Nancy au voyage aller.
Le trajet est sympathique en suivant des routes départementales peu fréquentés au milieu de la campagne et je roule à bonne allure. Je contourne Bourg-en-Bresse puis je fais un mini arrêt pour prendre une photo des arcades de la ville de Louhans mais je préfère garder du temps avec ma famille à Visargent.
Le portail est ouvert, j’entre dans l’allée de graviers donnant sur une large maison de plein pied, ancienne mais bien rénovée. Mon oncle Philippe m’attend sur la terrasse et me fait signe affectueusement tout en m’indiquant où me garer. Monique nous rejoint, j’enlève le casque et je porte toujours la veste coupe-vent qu’ils m’avaient donnée à Nancy, ce sont de nouvelles retrouvailles qui font chaud au cœur.
Je prends une bonne douche après ce trajet effectué d’une traite puis, Monique et Philippe me font visiter leur propriété ainsi que leur voisinage. Les maisons sont massives, parfois un peu rustiques en étant souvent aménagées dans des anciens corps de ferme, toujours de plein pied avec des murs en briques et en colombages. La toiture devance les murs et il n’y a originellement pas de gouttières sur ces bâtiments.
Ensuite, nous prenons l’apéritif sur la terrasse. Tout comme mes parents et mon cercle de famille et d’amis très proches, Monique et Philippe ont suivi mon voyage à travers mon blog et m’ont souvent fait des encouragements ou m’ont fait part de leurs impressions, c’était très agréable et motivant pour continuer à écrire. Maintenant, ce voyage touche à sa fin et de nouvelles questions se posent sur mon avenir professionnel et personnel auxquelles j’ai peu d’idées précises à apporter pour le moment.
C’est un lieu très agréable pour se ressourcer, il y a de l’espace, de la verdure et peu de bruit, c’est une étape bienvenue avant de rejoindre la fourmilière géante de la région parisienne.
Je pars le lendemain matin sans me presser après avoir pris le petit-déjeuner avec Monique et Phillipe, il me reste moins de quatre cents kilomètres pour rejoindre Paris.
Je reste sur les départementales peu fréquentées le plus longtemps possible au milieu des champs, des vignes et des châteaux de Bourgogne. Je contourne Chalon-sur-Saône puis je rejoins Avallon où je fais une pause pique-nique devant les remparts de la ville dominant l’entrée sur le parc du Morvan.
Puis, je fais un nouvel arrêt rapide pour me promener dans le centre de Chablis et je continue ma route en direction de Sens où je rejoins l’Yonne et je la longe jusqu’à ce qu’elle se jette dans la Seine à Montereau où eut lieu une des dernières grandes victoires de Napoléon avant son abdication et son exil à l’île d’Elbe.
J’entre dans la capitale par la porte de Bercy en suivant la Seine, c’est comme si j’avais quitté cette ville la veille. La circulation est plutôt fluide dans ce sens donc j’en profite pour passer à côté des monuments les plus symboliques de Paris : Notre-Dame, le Panthéon, les Invalides, la Tour Eiffel bien entendu où je fais une photo souvenir. Je dois dire que je ne suis pas vraiment émerveillé par mon retour dans la Ville Lumière et pourtant j’y ai vécu de bons moments pendant de nombreuses années et je l’ai souvent défendu en lui dressant des louanges face aux critiques de visiteurs déçus. Peut-être le fait de m’en éloigner de longs mois et de découvrir d’autres villes me la fait voir sous un autre jour ou j’ai peut-être besoin de temps pour me réacclimater et puis le ciel gris ne la met pas sous son meilleur jour.
Ensuite, je retrouve les copains de Paris dans un restaurant du côté de Chatelet, ça fait plaisir de se retrouver tous ensemble ! Je leur raconte quelques anecdotes de mon voyage et eux me parlent de leurs vies (un bébé en route, un nouveau boulot, un nouvel appart…) même si on était quand même restés en contact pendant le voyage.
Puis, je rentre le soir chez ma sœur à Meaux, la boucle est bouclée après pile neuf mois en ce lundi 19 juin 2023. Mon voyage est arrivé à son terme et il est temps de clore ce chapitre de ma vie pour en commencer un nouveau, je garderai en mémoire de nombreux visages et de belles rencontres humaines, des paysages sublimes, des monuments impressionnants aux architectures variées, des moments de galère et de joie, des périodes de solitude et de grandes complicités, de la fête et de la contemplation. Désormais, c’est un nouveau cap qu’il me faut trouver 🙂
Enfin, je voudrais aussi vous remercier d’avoir lu mes articles sur ce blog, que ce soit partiellement ou en entier, cela m’a motivé à continuer et je vous souhaite également à votre tour de bons et beaux voyages en espérant que vous ayez pu y trouver une source d’inspiration!
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