Jour 69 (24/11/2022)

C’est une nouvelle journée en bus qui s’annonce afin de parcourir les cinq cents kilomètres entre la ville de Kerman et celle de Bandar Abbas. Le paysage m’est désormais familier et il me vient à l’esprit la représentation suivante : le plateau pourrait être le palais d’une bouche, la route serait la langue et les montagnes acérées de chaque côté serraient les dents ou plutôt des crocs, j’espère ne pas m’enfoncer dans la gueule du loup !

En descendant vers le sud, je redécouvre les palmiers qui forment des oasis au bas des montagnes, toujours aussi belles avec la douce lumière de la fin de journée. Je les regarde avec attention car je pense ne plus les revoir en rejoignant le littoral, nous perdons déjà de l’altitude en descendant progressivement du haut plateau. C’est alors que les montagnes iraniennes me font un dernier au revoir en me saluant de leurs roches vertigineuses et éblouissantes sous le soleil. J’aurais bien fait quelques arrêts sur la route en lacets pour prendre le temps d’admirer les paysages mais j’arrive malgré tout à prendre quelques photographies en souvenirs depuis ma vitre. Nous passons un défilé de gorges rocheuses vertigineuses, je suis impressionné, c’est une route magnifique à refaire à moto et je ne regrette pas d’avoir pris un bus de jour plutôt que de nuit.

Je profite également du trajet en bus pour lire sur ma liseuse électronique qui est bien pratique (encore merci les collègues !) et en ce moment je savoure avec délice le livre « Petit traité sur l’immensité du monde » de Sylvain Tesson, grand voyageur désintéressé du sensationnel, à l’humour cynique et acerbe mais qui laisse transparaitre une sensibilité pour la nature, les animaux et les êtres originaux comme lui. J’apprécie son phraser imagé, son sens de la formule, son vocabulaire riche et son esprit original et aventureux. J’arrive donc sur un petit nuage à la ville de Bandar Abbas mais je vais vite redescendre à une réalité moins attrayante.

Il fait nuit, je trouve un chauffeur de taxi qui me propose le même tarif que sur Snapp donc je le suis à pied vers sa voiture tout en regardant mon téléphone pour lui indiquer mon chemin et là, je tombe dans un caniveau large d’un bon demi mètre et profond d’au moins un mètre avec environ quinze centimètre de vase… Lorsque j’en ressorts, l’air hagard, je ne vois plus mon téléphone que je tenais auparavant dans ma main ! Il fait sombre, des gens allument leurs lampes de téléphone mais je ne le trouve pas autour donc je mets les mains puis les pieds nus dans la vase pour le chercher en tâtonnant.  Je ressors des canettes, des bouteilles de verre mais aucune trace de mon téléphone. Au bout d’une dizaine de minutes, je demande à un passant d’appeler mon numéro iranien et ça sonne donc mon portable n’est heureusement pas dans la vase mais où est-il ?!

En regardant plus loin, nous finissons par trouver mon portable sur la voie rapide à proximité, l’écran a été entièrement fissuré par le roulement des voitures et l’écran de protection a été expulsé. Je me dis qu’il est foutu mais au moins il me reste les cartes Sim. Par contre, si je change de téléphone, je devrai réinstaller toutes mes applications et pour certaines c’est long et fastidieux comme par exemple les banques avec les authentifications à faire et je ne sais pas combien cela me coûtera d’acheter un nouveau téléphone. A ce moment, je me sens paumé sans cet objet électronique, en plus je suis un peu blessé au niveau de ma hanche droite et ma main gauche qui ont encaissé en premier ma chute. Mais que ferait Sylvain Tesson dans cette galère ? Probablement il ne serait pas dérangé de ne plus avoir de téléphone alors que je prends conscience que je l’utilise énormément dans mon voyage pour me repérer, communiquer avec mes proches et prendre des photos.

Voici le type de caniveau dans lequel je suis tombé dans l’obscurité et que j’ai fouillé avec mes mains et mes pieds pour chercher mon portable…

Pour commencer, je vais me laver les pieds et les mains dans les toilettes de la gare routière car je suis noir de vase. Ensuite, des passants commandent gentiment pour moi un chauffeur Snapp qui m’emmène dans le centre où j’avais repéré plusieurs hôtels. Cependant, en arrivant en ville sans mon téléphone j’ai du mal à me repérer et à trouver un hébergement. Bandar Abbas est une ville très moderne avec de nombreux magasins, parfois même de grands complexes commerciaux et il y a beaucoup de personnes qui déambulent dans les rues pour faire du shopping.

J’erre au hasard en cherchant un panneau signalant un hôtel mais je ne vois rien, j’essaye d’utiliser une carte de mon guide mais elle n’est pas assez précise, je commence à fatiguer. C’est là que mon sauveur, Magid, entre en scène. Il travaillait avec ses ouvriers dans un petit chantier pour rénover une bijouterie en tant que décorateur d’intérieur et il m’a aperçu dans la rue, l’air hagard, tandis que je m’approchais d’un immeuble que je pensais être un hôtel et que je cherchais à me repérer avec ma carte. Il me demande s’il peut m’aider avec un sourire bienveillant et une voix douce, je lui explique que je cherche un hôtel et il essaye d’en joindre un mais il est complet. Au fil de la discussion, je finis par lui expliquer que mon téléphone est cassé et donc que j’ai du mal à me repérer et à trouver un hôtel. Après m’avoir écouté avec attention et compassion, Magid me propose de m’héberger pour la nuit et de m’emmener d’abord dans un magasin de réparation de téléphone qu’il connaît. Je ne m’attendais pas à recevoir cette proposition qui me réchauffe le cœur et j’accepte avec grand plaisir ! A mon grand étonnement, mon téléphone pourra être réparé en remplaçant l’écran et je le récupérerai comme neuf au bout de seulement une heure!!! Je me sens extrêmement soulagé et je n’en reviens pas de pouvoir réutiliser mon téléphone aussi rapidement après l’avoir retrouvé sur la route, l’écran brisé en mille morceaux. Je remercie chaleureusement le personnel du magasin et, bien entendu, Magid! Je prends une photo avec mon téléphone réparé pour garder un souvenir.

Magid n’a pas hésité à mettre en pause son travail pour m’accompagner tout en passant quelques appels pour suivre à distance les travaux. Nous repassons rapidement au chantier de la bijouterie puis il m’emmène manger des samosas sur le chemin vers son logement. Nous pouvons désormais prendre le temps de nous présenter. Magid habite la belle ville de Yazd avec sa famille où il possède une galerie de peintures modernes dans le centre-ville en plus de son activité de décorateur d’intérieur. Il est à Bandar Abbas pour un mois afin de superviser les travaux de la bijouterie mais il a également d’autres chantiers. De plus, Magid est un dessinateur talentueux et il me montre plusieurs de ses dessins de monuments de la ville de Yazd, notamment le bazar dans un style assez proche des impressionnistes que j’apprécie beaucoup. Magid donne également des cours de dessins à des étudiants dans la ville de Yazd et je me souviens à présent en avoir vu qui dessinaient en extérieur la mosquée Amir Chaghmagh lorsque je la visitais. Bref, Magid est une personne très active et ouverte aux autres.

Nous arrivons dans son logement qui se trouve être l’appartement d’un de ses amis qui l’héberge pendant son séjour à Bandar Abbas. Son ami m’accueille tout naturellement et m’invite à prendre place sur un grand tapis placé au milieu du salon tandis que Magid prépare un thé. J’avais déjà entendu de nombreux témoignages de voyageurs louant la grande hospitalité des iraniens et j’en ai désormais un nouvel et très bel exemple !

Chez l’ami de Magid

Magid me montre un recueil de ses dessins qu’il emporte avec lui et des photographies de sa galerie de peintures, c’est très jolie et je suis impressionné par la finesse de son pinceau, étant moi-même un piètre dessinateur pour l’avoir expérimenté plusieurs fois au jeu du Pictionnary avec ma famille. Je montre à Magid mon petit album photo pour lui présenter les membres de ma famille lors de rassemblements familiaux dans différentes régions de France, c’est aussi pour moi l’occasion de me remémorer avec plaisir tous ces bons moments. Je présente également mon blog avec notamment mon article sur la ville de Yazd où il habite et il apprécie mes photos à mon grand plaisir, ça me permet de compenser mon inaptitude au dessin 😊

Ensuite, nous installons des matelas fins, des coussins et des couvertures au sol avec Magid et ce sera ma première nuit chez l’habitant en Iran en dormant sur l’un de ces fameux tapis persans, finalement c’était un mal pour un bien d’être tombé dans ce caniveau car cela m’a permis de faire cette très belle rencontre !

Début du jour 71 (26/11/2022)

Nous nous levons tôt le matin avec Magid afin d’aller nous promener au bord de la mer pour donner du pain aux oiseaux et aux poissons ainsi qu’observer les pêcheurs qui relèvent leurs filets pleins de poissons qui, les pauvres, se débattent encore (photographie de couverture).

La température est douce et il y peu d’agitation sur la route à cette heure-là donc c’est agréable pour commencer la journée. Ensuite, nous allons prendre le petit déjeuner à l’appartement avec l’ami de Magid, assis en tailleur sur le tapis du salon, avec du pain, du yaourt mélangé avec du miel, du thé, des noix et du fromage. Puis, Magid m’emmène au port de Bandar Abbas pour que je puisse prendre un ferry vers l’île de Hormuz qui m’a été conseillée par de nombreux voyageurs donc je suis impatient de la découvrir.

La suite au prochain épisode !