Du 15 au 17 mars 2023

Je tiens à prévenir les personnes qui sont peu ou pas du tout intéressées par la guerre et les militaires que c’est le thème central de cet article en raison de l’histoire de cette ville, en espérant que vous y trouviez quand même un peu d’intérêt ou sinon n’hésitez pas à passer à la suite.

Je suis venu dans cette ville car j’étais très intéressé pour visiter le site de la célèbre bataille perdue par l’armée française face à l’armée vietnamienne communiste pour l’indépendance du Vietnam (Viet Minh) après une résistance acharnée en 1954. J’avais envie de voir de mes propres yeux cet endroit pour m’en imprégner après avoir lu ou écouté plusieurs récits qui en parlaient avec émotion. Je pensais également profiter de ce détour pour passer au Laos afin de faire un parcours rapide d’une semaine avant de retourner au Vietnam plus au sud mais j’ai découvert que ce n’était pas possible d’obtenir un visa à la frontière donc je continuerai au Vietnam, ce qui n’est pas plus mal finalement car j’ai pu découvrir d’autres villes intéressantes.

J’ai pris par habitude dans ce voyage de lire un livre en lien avec le pays que je visite, souvent il s’agit de biographies car j’aime beaucoup l’Histoire et j’ai donc commencé la découverte du Vietnam par une biographie du leader Ho Chi Minh qui contribua grandement à l’indépendance de son pays ainsi qu’à sa réunification entre le nord et le sud malgré les dissensions internes et l’ingérence de grandes puissances étrangères.

Mes récents voyages en avions et en bus m’ont permis de terminer cet ouvrage assez rapidement et, pour me mettre dans l’ambiance de Diên Biên Phu, j’ai lu l’autobiographie du général Marcel Bigeard. Ce fut passionnant, à la mesure de son parcours de combattant exemplaire dans une période trouble pour la France.

Voici un rapide résumé de son histoire que j’ai retenu : il fut fait prisonnier par les Allemands lors de la Débâcle de 1940 puis, il parvint à s’évader après une troisième tentative et il rejoignit l’Afrique du Nord pour continuer le combat. Il fut parachuté en Ariège à l’été 1944 afin d’organiser avec succès la libération de la région avec l’aide des réseaux résistants. Ensuite, il gravit les échelons militaires au sein des parachutistes pendant la guerre d’Indochine et il comprit qu’il était nécessaire d’adapter le combat militaire à la guérilla mené par le Viet Minh en appliquant des méthodes similaires de contre-guérilla avec notamment du renseignement, des troupes légères, des attaques rapides puis des replis stratégiques. Il obtint plusieurs succès et il fut lancé avec son bataillon de parachutistes sur Diên Biên Phu pendant la bataille alors qu’elle était déjà bien mal engagée mais cela ne suffit pas à inverser la tendance malgré quelques contre offensives victorieuses. Il fut fait prisonnier puis libéré après les accords de paix quelques mois plus tard.

Ensuite, il participa à la guerre d’Algérie et il fit à nouveau preuve d’adaptation et d’innovation en utilisant pour la première fois les hélicoptères comme des moyens de transport de troupes et aussi en réappliquant avec succès ses méthodes de contre guérilla déjà employées en Indochine. Il participa également activement à la bataille d’Alger pour faire cesser les attentats à la demande du gouvernement français, ce fut probablement son action la plus controversée avec un fort soupçon d’emploi de la torture dans ce contexte très particulier même s’il le nie. Il fut également blessé par balles pendant cette période mais il survécu à ses blessures. Ensuite, dans la situation politique explosive de la fin de la guerre d’Algérie avec certains militaires et une grande partie des européens vivant en Algérie qui étaient contre la politique d’autonomie de De Gaulle, il fut transféré en Afrique subsaharienne suite à une prise de position publique mal perçue.

Il continua sa carrière militaire qu’il termina en tant que général dans une période de paix revenue. Il exerça ensuite de hautes responsabilités dans le ministère de la Défense sous le président Giscard d’Estaing puis il fut député pendant de nombreuses années avant de prendre sa retraite.  

J’ai déjà beaucoup écrit à son sujet dans cet article pour le présenter, je suis conscient que c’est un sujet sensible car les guerres d’Indochine et d’Algérie étaient menées par la France contre l’aspiration légitime de peuples à leur indépendance et qu’il y eu dans chacune de ces guerres non conventionnelles son lot d’atrocités des deux côtés mais je ne peux m’empêcher d’admirer les valeurs militaires et humaines de Bigeard qui fit preuve d’un courage et d’une intelligence exemplaires. D’ailleurs, la lecture de sa biographie me permis de découvrir que ce n’était pas un militaire assoiffé de combats meurtrier et qu’il avait bien conscience de la juste cause de libération de leur pays menés par les vietnamiens puis les algériens, sachant qu’il avait était auparavant dans la même situation pour libérer son propre pays. Mais il mettait un point d’honneur à remplir son devoir de militaire et à le faire bien sachant que les situations étaient parfois complexes avec notamment le risque de totalitarisme communiste au Vietnam contre lequel des vietnamiens eux-mêmes luttaient. Aux responsables politiques et militaires d’utiliser ces forces militaires de la meilleure des manières.

Certainement, s’il était né dans une autre période moins controversée il aurait peut-être été mieux reconnu. Bien entendu, je ne cherche pas à glorifier la guerre et je suis bien heureux d’être en période de paix dans mon pays et avec nos voisins, néanmoins il me semble nécessaire d’avoir ce type de personnes pour préserver la paix et garantir notre indépendance en cas de conflit.

Donc, je commence par la visite des collines fortifiées par les français avec des tranchées et des abris souterrains qui permettent de se représenter en partie la physionomie des combats âpres qui ressemblèrent pour beaucoup à la Première Guerre mondiale. De ce que j’ai retenu, la guerre d’Indochine durait depuis presque huit ans à la fin de l’année 1953 mais c’était principalement de la guérilla et l’armée française cherchait à obtenir une victoire décisive lors d’un affrontement frontal avec le Vietminh qui se dérobait souvent pour harceler ensuite les garnisons et les convois.

La stratégie française visait à se retrancher dans la cuvette de Diên Biên Phu qui dispose d’un plateau de cultures entouré de collines qui seraient transformés en forts avec des tranchées, des canons, des barbelés et des abris sous-terrain. Cependant, ces collines sont elles-mêmes entourées par des montagnes plus hautes d’où il pourrait être théoriquement possible de placer des pièces d’artillerie pour pilonner les positions françaises mais le commandement français jugea ce risque faible ou possible à contrecarrer avec leurs propres pièces d’artillerie.

Un an auparavant, l’armée française avait infligé une lourde défaite au Vietminh dans un scénario similaire et elle espérait le rééditer à une plus large échelle. L’emplacement géographique du camp était censé couper les approvisionnements du Vietminh au nord tout en étant éloigné de ses bases donc rendant l’attaque plus risquée. La France misait sur un ravitaillement quasi uniquement par un pont aérien, ce qui semble assez surprenant.

Mais le Vietminh parvint au prix d’immenses efforts collectifs et de discrétion à acheminer des pièces d’artillerie sur les hauteurs dans les montagnes dominant les collines en les cachant dans des grottes, ce qui leur permis de bombarder le camp français tout en étant difficiles à être détruites. A ce propos, l’officier français en charge de l’artillerie du camp et qui assurait au haut commandement être en mesure de détruire l’artillerie Vietminh se suicida le premier jour de l’attaque lorsqu’il se rendit compte de la gravité de la situation et de l’impossibilité de contre-attaquer de manière efficace avec ses pièces d’artillerie.

A partir de là, il fut quasiment impossible aux avions français d’atterrir, il fallait envoyer les renforts humains, les vivres et les munitions uniquement en parachutes avec les risques d’interception par le camp adverse. L’armée française, avec notamment ses parachutistes, ses légionnaires, les tirailleurs africains et des militaires vietnamiens anticommunistes résistèrent valeureusement pendant 54 jours du 13 mars 1954 au 7 mai 1954. Ils opérèrent des contrattaques menées notamment par Bigeard qui rencontrèrent certains succès mais ils ne disposaient pas de suffisamment d’hommes pour tenir les positions. Ils cessèrent le combat, épuisés, et furent en détention dans des camps aux conditions déplorables pendant cinq mois où beaucoup moururent de fatigues, de maladies et de faim.

Ce fut une grande victoire de l’armée Vietminh face à l’armée française qui était moins nombreuse mais mieux équipée, l’enjeu de la bataille était très important car des pourparlers de paix étaient en cours à Genève et cela permis au Vietminh d’être largement en position de force pour obtenir le contrôle total du nord du Vietnam et le départ de l’armée française. Cette victoire fut obtenue grâce à l’ingéniosité de l’armée vietnamienne qui était également équipée et conseillée par l’URSS et la Chine communiste mais aussi par les efforts immenses de toute la population pour ouvrir des pistes dans la jungle et acheminer tout le matériel dans une nature hostile avec une végétation dense et beaucoup de dénivelés.

Cela est bien présenté dans le musée de la bataille à Diên Biên Phu que j’ai visité. Il y a également quelques éléments de propagande dans le musée qui m’amusent comme par exemple une photo avec en commentaires un combattant souriant lorsqu’il apprend par courrier les résultats positifs de la nouvelle réforme agricole dans son village alors que les conséquences furent apparemment aussi désastreuses que le Grand Bond en avant de leur voisin chinois…

Je n’ai pas pris beaucoup de photos mais en voici une prise depuis une des collines occupées par l’armée française (dénommée Eliane 2 par les français et A1 par les vietnamiens)

Le jour suivant, je me promène une journée en vélo pour découvrir la région qui est très belle avec les villages de l’ethnie des Thaï noirs qui ont des maisons surélevées en bois et les femmes portent un beau chignon, il y a également de nombreuses rizières même dans les montagnes. Par contre, il fait très chaud et j’ai beaucoup de dénivelé positif à franchir à l’aller afin de rejoindre l’ancien camp de base du général vietnamien Giap qui fut l’un des principaux artisans de la victoire de Diên Biên Phu. Je transpire à grande gouttes et j’ai mal aux cuisses et aux mollets mais je pense aux efforts de l’armée française dans le camp retranché, c’est bien peu de choses en comparaison, on essaye de se motiver comme on peut…

Le poste de commandement est au pied de montagnes et caché au milieu de la jungle, les bâtiments sont en bambous et recouvert de feuillages, c’est bien différent du poste de commandement français creusé dans la terre et recouverts de protections en tôles et en sacs de sables avec des tranchées tout autour. En me promenant sur un chemin pavé, j’entends le bruit des grillons qui est intense et la végétation de chaque côté est très dense. Puis, je vois un long serpent qui passe à quelques mètres de moi et cela me coupe définitivement l’envie de m’aventurer plus profondément dans la jungle.

Si l’histoire de la bataille de Diên Biên Phu vous intéresse, je vous conseille le film français du même nom par le réalisateur Pierre Schoendoerffer qui fut présent à cette bataille en tant que reporter de guerre. Il est disponible en accès libre sur une fameuse plateforme américaine de streaming en ligne.