Suite et fin du jour 120 (15/01/2023) 

De retour sur la route avec mon pneu tout neuf, je trace pendant quasiment six heures de route et en m’arrêtant une seule fois pour une pause déjeuner rapide, je veux éviter de rouler pendant la nuit. La route est assez monotone, il y a un grand nombre de pylônes électriques et je commence à avoir froid en roulant sans arrêt malgré les vêtements supplémentaires que je porte. Je croise beaucoup de tracteurs qui tirent des remorques dont le chargement déborde largement de chaque côté comme au Pakistan, je tâche de les doubler en gardant une distance de sécurité.

Sur la route, j’ai pris un passant en stop pour le déposer quelques kilomètres plus loin, cela faisait plusieurs fois que je voyais des gens au bord de la route qui levaient la main et je me suis dit que ce serait un juste retour, bien que modeste, par rapport à toute l’aide que j’ai reçu pendant ce voyage et notamment le jour-même avec la crevaison.

La bonne nouvelle, c’est que le soleil se couche un peu plus tard dans la direction où je vais et j’arrive finalement juste à temps avant la nuit complète après avoir bien frissonné sur la moto avec le froid, ouf! Parfois, j’ai l’impression de faire au pas de course la visite du Rajasthan en engrangeant les kilomètres mais j’ai envie de faire tous les sites importants et je ne peux pas non plus rester trois semaines dans la région par rapport à mon planning.

Le soleil se couche, il est temps d’arriver

La ville de Jaisalmer est célèbre pour ses épais remparts de couleur jaune qui ceinturent tout le haut d’une colline avec un immense fort à l’entrée de la vielle ville. Mon auberge est située à l’extérieur, dans des quartiers plus récents, mais sa terrasse sur le toit offre une vue magnifique sur les remparts éclairés de nuit.

Aussitôt après avoir déposé mon sac, je pars découvrir la vielle ville qui est très bien entretenue avec une entrée impressionnante par d’immenses portes. Forcément, du fait de la qualité de ce site, il y a un nombre important de touristes et d’hôtels restaurants promettant une vue grandiose sur la ville mais c’est souvent la conséquence logique pour qu’un maximum de personnes puissent en profiter et j’arrive quand même à trouver des endroits un peu moins fréquentés en parcourant les moindres recoins de la ville à la recherche d’un beau point de vue ou d’un monument caché. La plupart des bâtiments ont gardé leur couleur d’origine en jaune et les rues très étroites permettent d’empêcher les tuktuks de s’y déplacer, ce qui diminue le fond sonore. J’ai hâte de la visiter le lendemain en journée avec la lumière du soleil.

Photo de la ville de Jaisalmer prise depuis la terrasse de l’auberge

De retour à l’auberge, je rencontre sur la terrasse un couple de français, Elyasse et Alice, ainsi qu’un belge Pieter et nous pouvons discuter en français, c’est plus pratique. Elyasse et Alice ont terminé leurs études supérieures et ils entament un voyage de huit mois entre l’Asie et l’Amérique du Sud, ils en sont quasiment à la moitié de leur voyage en ayant commencé par l’Asie et leur prochaine destination après l’Inde sera le Népal avant de rejoindre l’Amérique du Sud. Pieter fait également un long voyage après avoir négocié avec son employeur une année sabbatique et il vient tout juste de commencer. Il compte également aller au Népal et dans d’autres pays d’Asie avant de rejoindre le Canada puis redescendre jusqu’en Patagonie en sautant quelques pays sur le trajet. Je croise pas mal de voyageurs qui sont allés ou qui comptent aller au Népal, c’est visiblement une destination très prisée et c’est l’occasion de s’échanger des informations pour préparer cette nouvelle découverte.

Nous partageons nos impressions sur l’Inde et sur le voyage au long cours en nous donnant quelques astuces. Pieter nous offre de partager sa bière et nous nous réunissons autour d’un feu de bois allumé par le personnel de l’auberge car il fait frais la nuit. Ensuite, Pieter part se coucher et nous prolongeons la discussion jusque tard dans la nuit avec Elyasse et Alice, les sujets s’enchainent naturellement et nous ne voyons pas le temps passer. Cette soirée est très agréable et cela faisait longtemps que je n’avais pas eu un échange aussi nourri et fluide, il est temps de se coucher !

Jour 121 (16/01/2023) 

Malgré mon coucher tardif de la veille, je me lève tôt le matin afin de visiter le fort avec le moins de monde possible. La lumière du jour illumine progressivement les remparts de la ville jaune qui offre un spectacle unique.

Je visite un ancien temple Jain datant de six cent ans, il est richement décoré à l’intérieur avec des sculptures et de nombreuses statues humaines en position assis en tailleur placées tout le long des murs dans des galeries et parfois protégées par des grilles. A l’extérieur également, le moindre centimètre carré est sculpté. Certaines œuvres sont conçues dans un seul bloc de grès jaune.

Puis, je visite le palais et, cette fois-ci, l’audio guide permet d’avoir beaucoup d’explications intéressantes sur l’histoire de la ville et de ses habitants. Le fort a été construit en 1156 puis il y a eu des ajouts dans les siècles suivants.

Tous les monuments de l’ancienne ville risquent de s’effondrer, notamment à cause de l’eau courante qui a été installée alors que les matériaux et les méthodes de construction des bâtiments de l’époque n’étaient pas prévus pour cela car il y a une très faible pluviométrie dans la région donc il pourrait y avoir des affaissements de terrain.

La ville appartenait au clan des Bahati qui se disent descendants du dieu hindou Krishna et elle est proche du désert de Tahar qui sert aussi de frontière naturelle avec le Pakistan, située à seulement une centaine de kilomètres.

Le fort a été souvent assiégé, parfois pendant de longues années et la tradition locale privilégiait la mort à la défaite et au déshonneur. Ainsi, lorsqu’il était acquis que le fort serait bientôt pris, les habitants s’habillaient de leurs plus beaux costumes et, au son des tambours, les femmes se jetaient dans un feu immense puis les hommes partaient au combat jusqu’à la mort. Cette coutume radicale avait pour nom le « Jauhar » et c’est arrivé trois fois dans cette ville fortifiée, l’un face aux armées du sultan de Delhi après douze ans de résistance et un autre après six ans de résistance.

Dans la région du Rajasthan il y avait auparavant vingt-deux états princiers qui furent nombreux à se construire de somptueux palais protégés par d’épaisses murailles et qui tiraient en partie leur richesse de taxes sur les nombreuses marchandises qui transitaient par leur état. Les sujets du Maharaja portaient un turban dont la forme et les couleurs indiquaient le rang social. Les chefs Maharajas finirent par reconnaître l’autorité des moghols sur leur état tout en ayant une certaine part d’indépendance et généralement chaque partie bénéficia de cette situation pour prospérer.

La ville fortifiée de Jaisalmer fut le refuge de nombreux fidèles de la religion Jain au XVème siècle qui fuyait les répressions religieuses. Leur communauté avait de riches marchands et ils financèrent l’édification de nombreux bastions pour renforcer la protection de la ville mais aussi de beaux temples Jain que j’ai visités juste avant. Les jaïns représentent seulement un pour cent de la population indienne mais ils ont des moyens importants pour avoir de l’influence. Ils considèrent que tous les êtres vivants ont une âme, ils sont non violents et végétariens. Leur doctrine religieuse est assez nouvelle pour moi mais, de ce que j’ai compris, selon leur croyance le karma agit sous différentes formes sur l’âme humaine souvent de manière négative et c’est à chacun de faire les efforts de les identifier et de les combattre pour libérer son âme. C’est une conception assez individualiste où chacun est responsable de ses actes ainsi que des conséquences qui en découlent et doit faire les efforts pour son salut mais il me faudrait davantage de temps et de réflexion pour m’en faire une idée plus précise.

Ensuite, je trouve un accès sur le chemin de ronde entre les deux rangées de remparts de la ville où quasiment personne ne s’y promène et cela me permet d’avoir de nouveaux points de vues sur les remparts mais, par contre il y a beaucoup de déchets qui sont jetés sur le passage, c’est sale.

La visite de la ville me plait beaucoup et je me dis que je n’ai pas fait toute cette route pour rien. Jaisalmer me fait penser à Mardin, c’est une ville un peu isolée près de la frontière et son architecture unique et bien préservée en font un lieu presque magique malgré le flot de touristes qui arpentent les rues.

Cette destination m’avait été conseillée par Raju, un voyageur indien que j’avais rencontré dans une auberge à Téhéran et, à ce moment du voyage cela me paraissait encore loin tout comme lorsque mon ex-collègue et ami Tanguy m’avait conseillé de visiter le Temple d’Or d’Amritsar lors de mon pot de départ. Je suis content et fier d’avoir finalement pu découvrir ces villes qui revêtaient pour moi une certaine part de mystère et de curiosité.

Ensuite, je rentre à l’auberge pour me reposer sur le toit terrasse de l’auberge qui est très agréable.

Le fort de Jaisalmer depuis le toit terrasse de mon auberge

En milieu d’après-midi, je pars me balader à pied au bord d’un lac qui est proche et je retrouve par hasard Pieter qui est attablé en terrasse. Nous prenons un thé ensemble tout en admirant la vue sur le lac et nous discutons notamment de nos lectures, ayant chacun une liseuse électronique que nous utilisons souvent pendant le voyage.

Sur le chemin du retour à l’auberge, je tombe sur une fête dans la rue en vue d’un mariage musulman, un pick-up roule doucement avec de larges enceintes à l’arrière qui diffusent de la musique sur laquelle danse une foule de jeunes hommes qui suivent à pied. Plus en retrait se tient le marié sur un cheval et son visage est entièrement caché par un foulard coloré. Les jeunes hommes sont très joyeux et dynamiques, certains lancent des feux d’artifices ou s’aspergent de confettis. Je monte sur la terrasse de l’auberge pour mieux profiter du spectacle comme de nombreux habitants qui observent depuis leurs balcons ou toits.

La procession dans la rue pour célébrer le mariage
La fête continue vue depuis la terrasse de l’auberge

Pieter me rejoint pour le coucher du soleil et nous partageons une bière avec des chips en admirant la vue sur le fort puis Pieter s’en ira prendre un bus de nuit et je reprendrai la route le lendemain matin après avoir fait une petite séance photo avec ma moto devant les remparts de la ville.